© Juan Manuel Castro Pietro
C'est après quatre expéditions en Ethiopie entre 2001 et 2006 que Juan Manuel Castro Prieto (58 ans) nous offre l'exposition Etiopia. Il nous fait voyager dans un monde entre force et douceur, entre rêve et réalité. A l'image du photographe espagnol, les reproductions exposées à la galerie VU' sont d'une grande simplicité, mais surtout d'une grande efficacité. Photographe autodidacte issu d'une formation scientifique qui lui permit de devenir un tireur d'exception, Juan Manuel Castro Prieto propose des représentations où les stéréotypes disparaissent pour laisser place à la vision d'un pays et d'un peuple comme lui : d'une grande générosité. Dissimulant leur haut degré de technicité, ses photos nous plongent dans un monde ancestral où le temps semble se perdre à jamais.
Jonglant entre noir et blanc et couleur, cette exposition est d'une évidence déconcertante. Alors que les tirages jet d'encre soulignent, pour le photographe espagnol, la quête de l'instant parfait, les images sur papier baryté permettent de porter un regard plus «classique» par les compositions ou les ambiances.
La fascination de l'artiste pour l'Ethiopie, berceau du monde, s'explique par l'«authenticité» du pays, comme il le dit lui-même. Loin du carnet de voyage ou du reportage, Castro Prieto nous propose un voyage personnel, parfois hors du temps, dans un pays où la colonisation italienne (1936 - 1941) n'a pas eu le temps de faire disparaître les traditions. Cependant, avec le temps, la mondialisation fait son chemin et se croise au détour d'un détail. Les éléments issus du monde moderne, tels qu'un sifflet autour d'un cou, contrastent avec la culture ancestrale de ce peuple qui se manifeste par des peintures corporelles ou des jeux d'enfants traditionnels. La richesse de ce peuple cumulant les idiomes (6 langues principales) et garantissant la liberté de culte depuis 1994 passe aussi par la diversité des religions pratiquées ; au détour d'une image, une église Copte, dans ce pays à majorité orthodoxe, mais qui compte aussi un tiers de musulmans et une importante population judaïque.
Jeune fille de Hamer (détail), Dimeka 2005 / © Juan Manuel Castro Prieto / Galerie VU'
Pénétrant les photographies par des jeux de regards parfaitement maîtrisés, nous nous laissons surprendre par des couleurs hypnotisantes ou des ombres fugaces qui nous rappellent l'intemporalité de ce "pays des origines".
Aurélie Laurent, 29 février 2012.
Espagnol. Né en 1958 à Madrid. Vit à Madrid. C’est en autodidacte que Juan Manuel Castro Prieto vient à la photographie à la fin des années 1970. L’influence de Gabriel Cualladó et de Paco Gómez, qu’il rencontre à la Real Sociedad Fotográfica de Madrid, et un travail acharné et solitaire l’aident à conforter son style et à s’affirmer comme un virtuose dominant toutes les subtilités dela prise de vue à la chambre et du tirage en laboratoire. Ses photographies, parfaitement composées, sont souvent animées de flous troublants obtenus grâce à une grande maîtrise de la lumière et à une intervention très précise sur le plan focal. Les tirages sur papier baryté qu’il réalise, y compris dans de très grands formats, pour lui ou pour d’autres photographes espagnols réputés, sont d’une rare exigence. Tout comme ses tirages jet d’encre, depuis qu’il a fait le choix quasi exclusif de la couleur au début des années 2000. Pourtant, la technique n’est pour Castro Prieto qu’un présupposé, l’équivalent, dit-il, du «courage pour le soldat».
"Un regard libre, qui sait passer avec fluidité et sans contrainte, avec une respiration élégante et évidente du noir et blanc à la couleur, du paysage au portrait, des paysages à l’architecture, pour un voyage irréel, étrange et poétique, enchanté au vrai sens du terme (...) Le voyage pourrait être sans fin, tant il est irréel, sans limite, tellement pétri de cette poésie enracinée dans le réel que nous avons l’impression de reconnaître sans jamais avoir aucune certitude. On ne saurait parler ni de photographie de voyage, ni de journal de voyage, ni d’impressions, ni de description, ni de commentaire. De photographie certainement, dans la mesure où elle sait organiser cette tension permanente entre illusion et réel, fable et expérience (...) Une Ethiopie qui n’est ni celle de l’exotisme ni celle de la violence, une Ethiopie qui aurait conservé les raisons profondes qui firent venir là Rimbaud quand on parlait d’Abyssinie.".
Christian Caujolle (extrait)
© Galerie VU'