© Martha Cooper
De 1977 à 1980, la photographe américaine Martha Cooper répertorie les quartiers de la ville de New-York pour le New York Post. En marge de cette tâche quotidienne, elle photographie les enfants qui jouent dans les quartiers. Des clichés qui seront regroupés et publiés dans l'ouvrage Street Play (2006) que la rédaction d'Actuphoto prend plaisir à (re)découvrir aujourd’hui.
L'artiste Carlos Mare 139 Rodriguez, spécialiste du graffiti dans le métro et connu comme une personnalité du street art à part entière, y introduit brillamment le travail de Cooper, avant qu'elle ne confie elle-même en guise d'ouverture « Les quartiers les plus pauvres de la ville ont les vies de rues les plus riches. ».
Effectivement : les quartiers qu'elle traverse ont beau être dans un état lamentable (ordures jonchant des zones abandonnées, immeubles prêts à s'écrouler, terrains vagues ensevelis sous les pièces de métal), Cooper se concentre sur le contraste entre la laideur du paysage et la beauté des enfants, maîtres d'un royaume délaissé par les adultes. La photographie la plus emblématique de cette prise de pouvoir montre une grille surplombant un terrain à l'abandon, escaladée par une dizaine d'enfants comme dans un véritable coup d'état. Une bouffée de poésie.
Boy in Window with Pigeons - 1978 - Street Play © Martha Cooper, Courtesy Taxie Gallery 2011
Cooper photographie l'imagination et le mouvement avec l'humanisme d'une Helen Levitt, qu'il s'agisse d'un moment d'émotion où les enfants se balancent sur des banquettes de voiture, ou jouent à la guerre avec des barreaux de lits faisant office de mitraillettes. Les toits deviennent des terrains de jeu, et les pigeons vivants se transforment en nounours et en poupées. Ils investissent les rues avec désinvolture, s'improvisant vendeurs, voleurs, gangsters, parents, pilotes de rallye, musiciens, éleveurs...etc.
Boys Rolling Tires- 1978 - Street Play - © Martha Cooper, Courtesy Taxie Gallery 2011
C'est à travers ce travail que Martha Cooper commencera à s'intéresser au graffiti. A la même époque, le style hip-hop, venu du Bronx, se fait connaitre. La photographe a donc la chance de couvrir ces deux courants du street art, ce qui lancera sa carrière et lui conférera sa notoriété actuelle. Elle vit actuellement à Manhattan et a été pendant vingt ans la directrice de photographie pour City Lore, le centre New-yorkais pour le folklore des cultures urbaines. Certaines images de Street Play lorgnent même vers l'abstraction, comme cet enfant, tête penchée en arrière en plein soleil, une grosse bille de verre posée sur son œil fermé.
Girls Dancing with Graf on Wall - 1982 - Street Play - © Martha Cooper, Courtesy Taxie Gallery 2011
La rue est son terrain de jeu et elle s'y fond, ce que la dernière photo illustre parfaitement. On y voit Cooper, adossée à une voiture, à l'aise dans le Lower East Side de 1979, souriant en observant des enfants. Martha Cooper dépasse les clichés de la photographie enfantine en y ajoutant sa touche personnelle ; la fascination qu'elle a pour cette ville, grouillante de joie même dans ses quartiers les plus sordides, qui teinte ce livre plein de tendresse d'une conscience sociale à la Bruce Davidson (on pense à son reportage sur les habitants de Harlem, East 100th Street).
Lise Ménalque, le 13 décembre 2011.