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Le merveilleux photographe Kurt Wyss
" De la population de Bâle j´ai une idée très arrêtée et c´est qu´elle est faite de gens singuliers. Je sais bien qu´il faut se garder de généraliser trop vite mais tout de même tous les Bâlois que j´ai connus (un certain bon nombre) étaient personnages singuliers, et Kurt Wyss en est un aussi.
Concernant sa configuration physique je dirai qu´il est svelte et de mouvement rapide, avec un visage fortement empreint d´honnêteté. Concernant l´air d´honnêteté je dirai qu´on le rencontre chez les gens assez rarement – hors de Bâle du moins- et concernant la caractère d´honnêteté et de véracité chez les artistes je dirai que, contrairement à l´opinion quelquefois admise, il est capital. Pas de production d´art qui vaille où ne souffle fortement le vent de la véracité. Ceux qui ne sont d´abord convaincus de cela se font de la vraie production d´art une idée faible et disons erronée.
Le corps principal de Kurt Wyss, mince comme guêpe, se prolonge d´organes annexes pourvus de viseurs et qu´il pétrit dans la main et porte à tout moment à son oeil. Avec d´autres photographes on assiste à une suite d´opérations qui se déroulent explicitement -calcul de la distance, mesure de la lumière, positionnement de l´objectif- mais rien de cette sorte avec lui. L´appareil fait corps avec l´oeil, l´action est immédiate et non décomposée. Il grimpe soudainement sur n´ importe quoi, met la table sur une caisse, une chaise sur la table, prend appui du pied sur la fenêtre et la voilà perché, le cou tordu, la tête en bas, l´oeil au viseur, pressant précipitamment le déclic, cinq, dix, vingt fois. Saisit alors prestement un autre appareil, pivote sur son axe comme un furet, et encore vingt déclics. Il bondit à un autre endroit, recommence. Le spectateur ne peut se défendre de songer au coût de la pellicule entraîné par si grand nombre de prises de vue mais de cela Kurt Wyss n´a apparemment aucun souci. En complète transe. Il n´est plus le photographe, il est la Photographie, déchaînée, en chasse comme un fauve.
Après cela que se passe-t-il? Des nuits entières, j´imagine, à développer fébrilement les bobines, à scruter par transparence les négatifs, à expérimenter des tirages plus ou moins contrastés, sur des différents papiers. Un travail énorme, j´imagine, au bout duquel sont délivrées des photographies stupéfiantes, admirablement ingénieuses et inventives, d´une remarquable perfection technique, et d´une abondance interloquante. Il les groupe en albums. Ceux-ci restituent alors comme panoramiquement, et dans une forme saisissante, dramatisée, des instants fugitifs auxquels nul autre que lui n´aurait prêté attention, et que, dans une étonnante rapidité de vision, il a réussi à capter. "
Jean Dubuffet
© Kurt Wyss, Robert Doisneau
Courtesy Johanna Breede PHOTOKUNST
© Kurt Wyss, Jean Dubuffet, 1974
Courtesy Johanna Breede PHOTOKUNST
© Kurt Wyss, Pablo Picasso, 1967
Courtesy Johanna Breede PHOTOKUNST
Vignette et images : © Kurt Wyss
