Reconnu comme l'un des pionniers de la photographie en couleur en Amérique depuis les années 70, Alex Webb, photographe de l'agence Magnum depuis 1976, souligne l'importance de la lumière et de la couleur dans son travail. Pour la première fois, une monographie présente et retrace la totalité de son œuvre. Après trente ans de carrière : La souffrance et la joie de la lumière, paru aux éditions textuel, nous offre des photos incontournables et inédites du photographe.
Un photographe de rue
Alex Webb est un photographe complexe. Il se revendique photographe de rue, et non pas photo-journaliste ou documentariste. « Je ne sais faire qu'une chose, c'est marcher en direction d'un lieu. Que fait un photographe de rue, si ce n'est marcher, regarder, attendre, parler puis regarder et attendre encore, en conservant l'espoir que la chose inattendue, l'inconnu ou le secret enfermé au cœur du réel se présentera au coin de la rue. ».
© Alex Webb / Magnum Photos
Errer dans les villes, sortir, regarder et explorer le monde avec un appareil photo, voilà ce que fait Alex Webb. Car la rue est pour lui la meilleure école pour apprendre et comprendre. Inutile de s'instruire par les livres, il faut voyager et découvrir, savoir contempler avec talent, analyser les mouvements, les gestes, la lumière, les couleurs tout en soulignant les tensions culturelles, les climats politiques et économiques. « Ce que je sais aujourd'hui des sociétés que j'ai photographiées pendant toutes ces années – sur les plans socio-politique, culturel ou esthétique – je ne l'ai pas appris dans les livres mais en flânant dans les rues. »
L'échec du noir et blanc
Dans cette monographie, le photographe, dans la préface, nous apprend comment sa prédilection pour la couleur est survenue. Car Webb a commencé son métier en photographiant en noir et blanc. Inspiré par Henri Cartier-Bresson, Frank, Winogrand ou encore Lee Friedlander, c'était comme une évidence pour ce photographe de travailler sans couleurs, mais il lui manquait quelque chose. Les clichés noir et blanc sur l'Amérique sociale de la Nouvelle-Angleterre et des environs de New York, ne le satisfaisaient pas et ne l'épanouissaient pas. « Je sentais confusément que ce travail ne me mènerait nulle part. J'avais l'impression d'explorer un territoire que d'autres photographes de rue comme Lee Friedlander et Charles Harbutt avaient découvert avant moi ».
La découverte de la couleur
La vie d'Alex Webb prendra un tournant après la lecture du livre de Graham Greene, Les Comédiens. Ce roman traite du désenchantement de l'île d'Haïti, devenue un véritable enfer durant la dictature de Papa Doc et des tontons macoutes. L'univers de se livre l'a à la fois « fasciné et terrifié » au point que quelques mois plus tard il décide de partir à Port-au Prince.
Un tournant décisif dans la vie du photographe car c'est au cours de ce voyage que Webb découvre la puissance de la couleur. « J'ai découvert un autre registre émotionnel, une nouvelle corde avec laquelle j'allais devoir jouer : la lumière intense, vibrante. La violence de la lumière et l'intensité des couleurs semblaient inscrites au cœur de ces cultures, auxquelles je venais de me confronter. Ces couleurs tranchaient radicalement avec les tonalités discrètes, grises et marron, des paysages de la Nouvelle-Angleterre auxquels j'étais habitué. Depuis lors, j'ai travaillé presque exclusivement en couleurs ».
Des pays colorés au climat instable
De manière logique et légitime, Alex Webb, va chercher la couleur la où il y en a. Mexique, Haiti, Cuba, Ourganda, République Dominicaine, Inde, Floride, Texas, Zaïr (Congo), Panama, Brésil ou encore Turquie ont été des lieux de prédilection pour l'oeil de ce photographe. Toutes plus belles les unes que les autres, La souffrance et la joie de la lumière présente au moins une photo de tous ces voyages.
© Alex Webb / Magnum Photos
Des photos complexes
Les clichés de Webb sont complexes en terme de composition et de tension. Mais ses sujets exigent particulièrement cette composition, car ils traduisent une complexité visuelle et une multiplicité du réel. Ses photos sont denses, copieuses et chargées, beaucoup d'informations sont données dans une seule image. Le photographe indien Dayanita Singh, qui fut son élève au Centre international de photographie de New York, définit les photos de son mentor comme des « photographies à migraine ». Ses images sont composées de plusieurs cadres, de différentes entités, d'une multiplicité de personnages et de mises en abyme. Elles sont démultipliées grâce à des affiches, des peintures, des miroirs, des fenêtres, des vitres et des portes. Un vrai phénomène de poupées russes. Dans une photo il y en a en réalité plusieurs. « Il n'y a pas que telle ou telle chose qui existe. Il y a aussi ça, ça, ça et encore ça et tout coexiste à l'intérieur d'un même cadre. Je cherche toujours à ajouter quelque chose. Mais une de trop, et c'est le chaos. Je m'amuse à marcher sur cette ligne de crête: je multiplie les éléments jusqu'à m'approcher au bord du chaos. »
© Alex Webb / Magnum Photos
Nul besoin de chercher des qualités au travail d'Alex Webb; il s'impose de lui-même comme un chef d'oeuvre. Certaines photographies « à migraine » plongent le lecteur dans une intense contemplation. Comme hypnotisé, on ne sait décrocher son regard de ses clichés. Chaque détail est important, chaque reflet donne sens à un mouvement, un personnage qui lui même donne sens à une couleur. L'oeil ricoche, admire et apprécie la beauté de cette monographie haute en couleurs.
Alexandra Lambrechts, le 31 octobre 2011.