© Thibault de Puyfontaine
C’est au cœur d’une nuit colorée, dans les senteurs d’Orient tantôt suaves ou fortes, que nous convie Thibault de Puyfontaine. Les premières étapes de « Late Colors », son épopée photographique, l’a conduit en Egypte, du Caire à Alexandrie, mais aussi au Mozambique. Il nous en livre aujourd’hui un étonnant constat visuel, entre rêve et réalité.
Au gré de ses périgrinations, de ses déambulations, Thibault de Puyfontaine, tout d’abord subjugué par les lueurs qui cheminent les ruelles étroites de ces cités, a décidé de se perdre. La nuit a été le terrain privilégié de cette maraude onirique. Sans aucun apriori, il s’est laissé guidé par les lumières artificielles qui nimbent venelles, places, porches, escaliers cairotes ou alexandrins. Attiré par leur irréalité, elles l’ont poussé à l’intérieur des immeubles, dans les estaminets, dans les maisons, à la réception des hôtels. Intrigué par les clairs obscurs provoqués par les éclairages électriques, Thibault de Puyfontaine s’est arrêté, pour goûter le temps de cette lumière. Et laisser à cette dernière la faculté d’envahir l’espace, de le transformer, de le gommer, de le re dessiner, pour en révéler la beauté. Aidé par cette source lumineuse qui semble parfois divine – et qui sait, peut-être extra-terrestre - il souligne un détail, une trace, un vestige ; il transcende la simplicité des lieux en révélant des teintes insoupçonnées. Victime consentante, son parcours est celui d’un papillon de nuit, attiré par les ampoules et les néons. En confiance, il se laisse mener, comme aimanté par la lumière. Les images de Thibault de Puyfontaine créent ensemble une nouvelle cité. Nous n’avons plus de repères pour savoir si nous sommes au Caire, à Alexandrie, à Gizeh ou à Shubrah, dans un train ou une gare au Mozambique. Nous sommes au cœur de la somme de toutes ces villes. Une ville qui n’existe pas. Une ville et un voyage rêvés, au cœur de la nuit.
Et puis une étrange sensation, dans un second temps. Toutes ces rues, tous ces bars, ces petits hôtels, ces squares sont exempts de toute présence humaine ou animale. Thibault de Puyfontaine nous a certes conviés à une ballade nocturne, mais le vide ambiant renforce encore un peu plus le sentiment d’être au milieu d’un rêve. Ou bien au centre d’une fiction théâtrale ou cinématographique. Tous les acteurs ont quitté la scène, le plateau, laissant accessoires et tournages en l’état : une télévision encore en marche dans un café, des fleurs abandonnées sur un comptoir, une chaise laissée sur un trottoir... La fiction déserte les lieux, qui, sous les lumières toujours actives, redeviennent des décors. Une nouvelle réalité s’installe implacablement. L’envers de la frénésie diurne.
Thibault de Puyfontaine : « J’aime dans la photo le fait de pouvoir changer l’identité des choses, des objets. Le molleton d’un canapé peut se transformer en rose, un mur partir en fumée, des fragments de matières devenir un assemblage irrél. Il s’agit de dérégler les sens pour redécouvrir ce qui est devant nous. »
Pourtant, nulle angoisse ni inquiétude ne semblent troubler notre périple labyrinthique. Et même si pointe la question de la fuite des habitants face à une menace, on peut également imaginer que c’est un événement heureux qui les a conduits à déserter leurs logements, à stopper leurs occupations, pour se réunir, ensemble, quelque part, pour une célébration.
Alors on bascule dans le surréalisme, dans tous les possibles. La poésie envahit l’espace, la couleur est irréelle, la beauté et l’émotion naissent de la rencontre de la lumière avec ces lieux.
«J’aborde la photographie non pas comme un instant décisif mais comme un moment calme et privilégié pour la méditation. J’aime dans l’acte photographique ce dialogue intérieur qui s’instaure et qui met en éveil une certaine sensibilité. Tout comme l’inconscient, l’appareil photo fonctionne comme une plaque sensible qui viendrait enregistrer ce qu’elle voit. C’est ce dialogue entre le rêve et la réalité, qui est capturé.»
Vignette et images © Thibault de Puyfontaine