© Daïdo Moriyama
«Daïdo Moriyama et la photographie de nu ?
Plus connu pour sa vision des villes et de leurs signes, Daïdo Moriyama est aussi un photographe de nus. Le nu qui a parsemé son travail de manière sporadique mais qui est un passage important dans cette oeuvre immense. Avec ses rares images, il a révolutionné un art où innover est difficile. Sa première série, datée de 1969, aborde le nu de manière inédite : une dizaine d’images, mal tirées, une femme sans visage et sans identité, sur un lit, les positions sont naturelles, sans fard ni pose, jambes écartées, cul en l’air, sous le drap ou la douche. Instantanés d’avant, pendant et après l’amour.
La galerie Da End va présenter pour la première fois cet aspect méconnu de l’oeuvre de l’une des figures emblématiques de la photographie contemporaine : de cette première série pour le magazine Provoke (1969) qui décidera un jeune publicitaire - Araki - à se lancer à plein temps dans la photographie, aux remix perpétuels que sont les nus du mythique Kagerou («Mayfly»,1972), sans oublier l’incroyable feuilleton érotique qu’il réalisera pour Playboy. En tout une cinquantaine de photographies seront exposées, du noir et blanc, mais aussi et surtout des clichés érotiques parfaits et en couleur, une couleur monochrome comme il les aime. A noter les titres de ces séries, de purs chef d’œuvres de poésie : Premonition of a Virgin, Invading Eyes, Seized the moment, On the bed, COMMEINMYHOUSE, Ballad of Violation. Quand on lui pose pourquoi ces titres, il répond d’une sentence sans appel : «dans la vie quotidienne il y a toujours des choses inquiétantes et un peu folles...» Ces images proviennent d’un travail de commande pour Playboy, l’édition japonaise. Une fois toutes les deux semaines le magazine publiait ses photos, alternativement, l’autre semaine, était consacrée à Kishin Shinoyama, célèbre figure de la photographie commerciale, qui se fera connaître par ses nus. Surtout ne pas voir en ces photographies un ralliement à la cause capitaliste, voire à la presse américaine. N’oublions pas que Moriyama est un révolutionnaire et à cette époque comme tout bon agitateur japonais, il n’a qu’une lutte, celle contre l’impérialisme américain.
© Daïdo Moriyama
Daido Moriyama est né en 1938, il a connu comme toute sa génération, le chaos des bombardements, les deux bombes nucléaires et la défaite de l’empire. Sa photographie est le médium de leur crise d’identité personnelle et collective. Cette société de l’après-guerre et sa course à la modernité a transformé les villes, mais aussi la mentalité japonaise et son goût pour l’ombre. Tout d’un coup la pudeur n’est plus une valeur morale : l’intimité des femmes s’exhibe à travers les images pornographiques de Playboy et s’affiche dans les rues. La télévision envahit l’espace familial, l’imagerie occidentale se développe dans les magazines et la publicité, venant heurter une civilisation jusqu’alors protectionniste et prude. Un choc de culture, l’avènement de la civilisation de l’image qui envahit les mentalités et notre vision de l’avenir. Précurseur.»
Patrick Rémy, Paris 2011.
Vignette © Daïdo Moriyama