
Du 8 avril au 23 octobre 2011, la bibliothèque Paul-Marmottan présente une étonnante exposition mettant en parallèle des paysages suisses et italiens dessinés au XIXe siècle par Johann Jacob Meyer et peints par Lancelot Théodore Turpin de Crissé, avec des photographies de ces mêmes sites, prises récemment par le photographe Dominique Laugé (né en 1958).
Johann Jacob Meyer (1787-1858) a publié ses dessins dans Voyage pittoresque dans le Canton des Grisons en Suisse (1826) et Voyage pittoresque en Valteline (1831). Dans ce type de récits, genre littéraire né au siècle des Lumières, chaque lieu visité – sites et point de vue remarquables – fait l'objet d'une étude savante, illustré par des gravures.
Ces publications, qui connurent tout au long du XIXe siècle un grand succès public, servirent de prétexte à la Fondation Valteline, basée à Sondrio près de Milan, pour commander en 2007 au photographe Dominique Laugé une série de clichés inspirés des sites pittoresques illustrés par Johann Jacob Meyer. L'artiste a suivi à la trace le peintre suisse sur les anciennes routes du passage des Alpes, réalisant ainsi plus de 70 grands tirages photographiques d'après nature.

D'après Johann Jacob Meyer (1787-1858) Dominique Laugé (1958)
Le village de Splügen dans la vallée du Rheinwald [Suisse, canton des Grisons]
© Sondrio, Credito Valtellinese Art Collection
En 2010, Dominique Laugé exécute dans le même esprit, pour la Ville de Boulogne-Billancourt, une série de photographies de la ville de Sion, située dans le canton du Valais en Suisse. Il choisit cette fois comme point de confrontation la peinture de Lancelot Théodore Turpin de Crissé (1782-1859), Vue de la ville de Sion dans le Valais (1806) conservée à la bibliothèque Paul-Marmottan. Au total, plus de 90 photographies de Dominique Laugé tirées sur un papier fait à la main sont mises en regard du tableau et des gravures qui les ont inspirées. Cette exposition de la bibliothèque Paul-Marmottan, unique en son genre, vous invite à une comparaison et une méditation sur la continuité et les évolutions du paysage à travers les siècles.
Extrait du catalogue de l'exposition, par Dominique Laugé, photographe
«Turpin de Crissé a peint Sion depuis un point situé à l’ouest/sud-ouest de la ville. Il se tenait probablement près du couvent des Capucins, sur le rocher que côtoie l’ancienne route de Savièse. La lumière, dans le tableau, est étrange ; d’après la direction des ombres, elle provient du nord-est. Le soleil est à peine levé en ce milieu d’été. La direction de la lumière structure le tableau et dramatise quelque peu une ambiance quant au reste très apaisée. Un char et quelques personnages à pied se dirigent vers la ville, le ciel est calme, il fera beau. La tour
crénelée que l’on aperçoit au premier plan n’existe plus aujourd’hui ; elle faisait peut-être partie des fortifications qui seront détruites peu après le passage de Turpin ou bien, a été inventée dans son atelier. Les autres bâtiments du premier plan ont disparu ou ne sont malheureusement plus identifiables. Dans son souci de composition et pour équilibrer les trois plans du tableau, Turpin a altéré le profil des montagnes et modifié la perspective. Bien que situés au second plan et peu éclairés, on identifie immédiatement les trois châteaux de la ville : les ruines de Tourbillon à gauche, Valère au centre et enfin, à droite, le château de la Majorie.
C’était il y a 200 ans. Si l’on se place aujourd’hui à l’endroit exact où se tenait alors le peintre, on ne voit qu’une façade borgne. La ville a grandi, dévoré chemins et campagne. Et puis des immeubles, toujours plus hauts, ont remplacé les maisons. Il est vraisemblable qu’à l’époque de Turpin, le site était suffisamment majestueux et pittoresque pour qu’il suggère d’emblée une image. Si Sion a conservé tous ses attraits, les changements apportés par la modernité galopante imposent à présent une approche différente. [...]
Cherchant la direction générale du point de vue du tableau, je contournais la ville par le nord. Je savais par expérience que je devais m’élever, avoir une vue globale et définir une « visée », puis, ensuite, descendre lentement en évitant les obstacles et trouver l’endroit précis où le peintre avait planté son chevalet. Grâce à l’aide précieuse de mon ami Jean-Maurice Varone, sédunois de naissance, nous découvrions dans l’après-midi le point précis et le mur gris d’un immeuble de cinq étages construit dans lesannées soixante du siècle dernier. Après avoir importuné un grand nombre de personnes habitant les immeubles des environs, nous trouvions le balcon avec une vue correspondant au tableau de Turpin de Crissé. Si la situation géographique était satisfaisante, cette vue était malheureusement décevante du point de vue photographique. D’où l’intérêt particulier de compléter celle-ci par d’autres images qui prennent en compte la spécificité de la ville actuelle.»

