© Katrin Jakobsen
Galerie Fait & Cause Rue Quincampoix, 58 75004 Paris France
notre petit secret..., un projet artistique contre la maltraitance des enfants.
«Tout a commencé en 1996 en Belgique, Marc Dutroux enlève deux petites filles, Julie et Melissa et les cache dans sa cave. Il les viole pendant des mois. Puis, alors que Dutroux est incarcéré pour un méfait mineur Julie et Melissa meurent de faim. Depuis lors, la souffrance de ces fillettes ne me quitte plus, elle est comme inscrite dans mon âme.
L’idée du projet, « alles wird gut » (notre petit secret...) m’est venue en 2006, à bord d’un vol qui me ramenait de Thaïlande et du Cambodge, où j’avais fait un photo-reportage pour l‘édition suédoise du magazine Elle. L’article en question portait sur le travail de l’UNICEF avec des enfants atteints du virus du SIDA. Malgré le ton optimiste du reportage, je me sentais accablée. J’étais comme hantée par d‘autres photos : celles que je n’avais pas prises, celles des milliers d‘enfants des rues, prêts à vendre leurs corps émaciés à qui leur paierait un bol de riz.
Me voilà donc dans l’avion, parmi tous ces hommes qui rentraient chez eux reprendre la vie de tous les jours. Je lisais dans leurs expressions satisfaites ce qu’ils venaient de faire. C’était comme si chacun arborait un T-shirt au slogan, « Sex Tourist » imprimé en grosses lettres. Mais que pouvais-je faire ? Sinon fermer les yeux, faire semblant de les ignorer faire comme si je n’avais rien deviné de leur jeu.
Et pourtant. Derrière mes paupières closes j’ai vu des horreurs. Je voyais ces hommes caresser des petits garçons. Je les entendais dire aux adolescentes tremblantes de peur, « sois gentille ma chérie, viens ici ». J’ai vu en détail chaque viol, chaque enfance détruite. D’autres images, enfouies, surgissaient aussi : des enfants battus, des gamins qui crevaient de faim, des enfants- soldats, des victimes de pédophiles... Des histoires lues dans les journaux, vues ou entendues dans l’actualité. Des images insoutenables, impossible à photographier... Car cela ferait de moi une complice, une criminelle. Après tout, un reportage sur l’enfance maltraitée ne serait-il pas qu‘une autre forme de pornographie?
C’est alors que je pensais à la maison de poupée de ma fille. Un monde de conte de fée, désuet, innocent, tout en miniatures. Cette image m’a fait comprendre que non seulement je devais agir, mais que j’en avais les moyens. La maltraitance est un sujet tabou ; essayer de la montrer peut paraître paradoxal. Mais si je passais par la fiction de la maison de poupées, je pourrais finalement mettre en scène cette violence.
Je faisais tout moi-même, de mes mains : j’ai construit des pièces à la déco et à l’éclairage soignés. J’ai modelé les personnages, je les ai disposés de manière à évoquer des scènes épouvantables. Et puis ces scènes, je les ai photographiées. Le modelage des personnages pouvait prendre plusieurs jours. Pendant qu’avec mes doigts je lissais leurs joues et leurs ventres, je me sentais très proche de ces petites créatures. Au fur et à mesure que je les formais, je devinais, je ressentais ce qu‘ils éprouvaient, les victimes comme les bourreaux : la douleur de l’une, l’excitation de l’autre. Une expérience terrifiante.
On ne voit jamais dans mes photos le passage à l’acte. À aucun moment je ne donne la violence en spectacle. Comme cela, chaque spectateur doit s’impliquer et compléter l’histoire, avec sa propre peur, ses propres fantasmes.»
Katrin Jakobsen, Paris 2011