© Pierre Bourdieu
L’exposition présente une sélection de 150 images retenues parmis les 600 photographies de Pierre Bourdieu prises en Algérie de 1958 à 1961. D’abord appelé du contingent en 1955, Pierre Bourdieu séjourne pour la deuxième fois en Algérie entre 1958 et 1960 et enseigne à la Faculté de Lettres d’Alger jusqu’en 1960. C’est dans ce pays secoué par la guerre anticoloniale que s’af?rme la vocation de ce jeune philosophe pour le métier de sociologue. Et c’est dans ce même contexte qu’il utilise la photographie comme support à ses recherches. Il va alors développer de façon autodidacte une approche du monde social à hauteur d’homme. La photographie, « manifestation de la distance de l’observateur qui enregistre et qui n’oublie pas qu’il enregistre », convient à cette « théorie de la pratique » qu’il initie alors. Elle est surtout pour lui, dans ces moments d’urgence et de prise de risque permanents, « une façon d’essayer d’affronter le choc d’une réalité écrasante ». La photographie lui permet alors cette formidable conversion du regard qui forma l’homme.
Ces photographies ajoutent une facette essentielle aux études ethnographiques et sociologiques de Bourdieu, car elles permettent d’appréhender une méthode en construction. Elles sont aussi, par leur valeur documentaire, une source d’information sur la société algérienne et un moyen de compréhension de nos histoires communes. La beauté de ses photographies est impressionnante. Elle tient dans la force de ses cadrages et dans l’attention particulière qu’il porte à ce pays, à son regard porté sur ces hommes et ces femmes qu’il veut réhabiliter dans ses images. Pierre Bourdieu place son œuvre photographique dans le contexte de son travail sociologique, tout en soulignant les liens d’affection qu’il entretenait avec ce pays. D’Alger à la Kabylie, Bourdieu capte une Algérie en pleine mutation. Un demi-siècle est passé et, aujourd’hui encore, ses images témoignent.
« Le regard d’ethnologue compréhensif que j’ai pris sur l’Algérie, j’ai pu le prendre sur moi-même, sur les gens de mon pays, sur mes parents, sur l’accent de mon père, de ma mère et récupérer tout ça sans drame, ce qui est un des grands problèmes de tous les intellectuels déracinés, enfermés dans l’alternative du populisme ou au contraire de la honte de soi liée au racisme de classe. J’ai pris sur des gens très semblables aux Kabyles, des gens avec qui j’ai passé mon enfance, le regard de compréhension obligé qui dé?nit la discipline ethnologique. »
Vignette © Pierre Bourdieu