© Keizo Kitajima, Tokyo, 1979
Le BAL présente pour la première fois en Europe le travail de Keizo Kitajima, grande figure de la photographie japonaise. Keizo Kitajima est né en 1954 à Suzaka (Nagano).
Photographe précoce, son adolescence est marquée par la découverte des travaux précurseurs de Nobuyoshi Araki et de Daido Moriyama. Sensible à la forme narrative très cinématographique du premier et à la critique acerbe de la société contemporaine du second, il revendiquera ces deux filiations. En 1975, il intègre l’école de photographie WORKSHOP à Tokyo crée par Shomei Tomatsu, où vont enseigner Nobuyoshi Araki, Masahisa Fukase, Eikoh Hosoe, Daido Moriyama, et Norimitsu Yokosuka. Elève de Daido Moriyama, il étudie attentivement le travail de nombreux photographes occidentaux notamment William Klein et Eugène Atget et participe aux débats sans fin sur le potentiel et les limites du médium photographique.
Ces discussions interviennent après une période de rupture qui a vu la publication du magazine-manifeste PROVOKE (1968-1970), du livre de Takuma Nakahira, For a langage to Come (1970) et du livre de Daido Moriyama, Bye-Bye Photography (1972). A la fin des années 60 et au début des années 70, l’heure est à la dislocation du langage photographique pour exprimer une société traversée par de profonds mouvements de contestation (contre la guerre du Vietnam, contre la présence des bases américaines sur le sol japonais, contre la construction de l’aéroport de Narita etc..).
Privilégiant une vision fragmentée, totalement subjective, tendant vers la capture de l’expérience brute et vers « l’expression pure », l’écriture photographique devient alors fortement contrastée, floue, tremblée, se jouant des répétitions, des superpositions, des appropriations, des ratés. En 1975, WORKSHOP cesse d’exister. Après sa dissolution, Keizo Kitajima et Seiji Kurata inaugurent avec Daido Moriyama une nouvelle galerie indépendante, l’Image Shop CAMP, au n° 2 Chome street, dans le quartier de Shinjuku, à Tokyo. La recherche individuelle par ces photographes d’un nouveau mode d’inscription dans le monde prend le pas sur un questionnement collectif.
Le travail de Keizo Kitakima a fait l’objet d’une importante rétrospective au Tokyo Metropolitan Museum : Critical Landscapes en 1993, accompagnée du livre JOY OF PORTRAITS (Edition Nabuhïko Kitamura). L’exposition du BAL présente cinq séries réalisées par Keizo Kitajima de 1975 à 1991. A l’occasion de l’exposition, Steidl et LE BAL rééditent en fac-simile la série mythique de 12 livrets parus en 1979 en miroir de l’exposition de Keizo Kitajima à la galerie CAMP : Photo Express : Tokyo.
Le 13 janvier 1958, un nez, deux phalanges et un pénis sont découverts dans un bac à huile à proximité du lac Sembako (préfecture d’Ibaraki). Le lendemain, la police trouve le corps d’un homme de l’autre côté du lac, grossièrement défiguré. Plusieurs doigts sont coupés et l’intégralité du corps est rongée à l’acide, dans le but évident de rendre impossible toute identification. Néanmoins, l’autopsie permet d’établir que le cadavre est celui de Sato Tadashi, un journalier de trente ans originaire de Sumi- da-ku, à Tokyo. La date du meurtre est établie au 12 janvier et la cause du décès serait la strangulation. Sato étant un citoyen tokyoïte, une unité d’enquête spéciale est créée en collaboration avec la police municipale de Tokyo. La police recherche Nishida Tamotsu qui résidait dans le même hôtel que Sato (Naniwaya Ryokan à Asakusa) et son nom apparaît dans le mandat d’amener qui est diffusé. Les deux hommes ont signé le registre de l’hôtel et il semble que Nishida aurait proposé à Sato de le faire travailler dans une tannerie. À la fin du mois de janvier, la piste de Nishida est abandonnée et les enquêteurs ont l’impression que la vérité leur échappe. L’affaire du corps coupé est au point mort.
En juillet 1958, la police lance une campagne spéciale sur tout le territoire : première en son genre, elle a pour objet de permettre à l’ensemble des forces de l’ordre de comparer les données relatives à vingt et une affaires de meurtres non élucidées.
© Yukichi Watabe, A criminal investigation, 1958
Cette campagne conduit à l’identification d’un cadavre jusqu’alors inconnu, découvert à Kurashiki (préfecture d’Okayama) en février 1956. Le corps est celui de Miura Shofu mais curieusement, Miura est enregistré comme encore en vie. C’est alors que la police réalise qu’elle est confrontée à une affaire d’usurpation d’identité. En fait, Miura s’appelle Onishi Katsumi. Arrêté le 16 juillet 1958, il avoue avoir commis quatre assassinats : le 1er juin 1955, il a empoisonné ses parents adoptifs, Onishi Fukumatsu et son épouse Kuma, à leur domicile de Shimonoseki (préfecture de Yamaguchi), avec du cyanure. Ensuite, il a quitté Hokkaido où il travaillait dans un magasin d’alimentation sous un faux nom et s’est rendu à Tokyo. Là, il a fait connaissance avec Miura Shofu, l’a persuadé de lui vendre sa carte d’identité contre 40 000 yens et l’a tué afin d’adopter son identité. Il s’est marié et a trouvé un emploi dans une usine de cartons. Par la suite, il a assassiné Sato Tadashi, également afin de subtiliser son identité. Onishi Katsumi a été reconnu coupable de ses crimes le 23 décembre 1959. Le 30 mars 1961, la sentence de peine de mort a été confirmée. Onishi a été exécuté en 1965.
Watabe Yukichi (1924-1993) est né à Sakata (préfecture de Yamagata). Reporter photographe indépendant, il couvre la plupart des grands événements historiques et politiques se déroulant à Tokyo. En 1958 il se voit accorder l’autorisation exceptionnelle de documenter l’enquête menée par la police municipale de Tokyo relative à « l’affaire du corps coupé ». Il publie une sélection d’images dans le numéro de juin 1958 du magazine Nippon. A l’occasion de l’exposition, Les Editions Xavier Barral et LE BAL éditent A Criminal Investigation.
Yutaka Takanashi est une figure majeure de la photographie japonaise au XXéme siècle : co-fondateur du légendaire magazine PROVOKE en 1968, il publie en 1974 Toshi-e (« Vers la ville ») un des livres phares de ce mouvement de redéfinition du langage photographique au profit d’une expression plus brute et instinctive du réel.
Initiée un an après la publication de Toshi-e, la série Machi (Ville) présentée au BAL rompt radicalement avec le style flou, contrasté et expressionniste des années Provoke. Yutaka Takanashi se concentre désormais sur l’un des quartiers les plus anciens de Tokyo, Shitamachi, où le monde traditionnel est peu à peu envahi par les signes de la modernité. Pour témoigner de cette disparition programmée, il réalise des portraits d’intérieurs et d’extérieurs, vides de toute présence humaine, en couleur, à la chambre 4x5 inch, (souvent avec un temps de pose de 20 minutes).
© Yutaka Takanashi, Machi, 1975 : courtesy Galerie Priska
Photographier pour Yutaka Takanashi est le moyen de « marquer la fin, de conclure » : « Face à un paysage, le photographe se tient totalement libre : libre de s’y confronter, de s’y absorber, de le détruire, de le reconstruire et puis de le révéler ». La série qui apparaitra partiellement dans le magazine Asahi Camera à partir de 1975, fera l’objet d’un livre, Machi, publié en 1977 par The Asahi Shinbun.
Cette exposition s’inscrit dans le cadre de la programmation d’une Saison Japonaise, présentée au BAL à partir du 26 avril. Du 30 avril au 1er mai : Colloque Japon : représenter la catastrophe ; pendant deux jours, LE BAL invite historiens, anthropologues, critiques et créateurs à s’interroger sur la représentation par les artistes japonais et les media des catastrophes naturelles, technologiques, politiques qui ont marqué l'histoire du Japon.