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Emile Zola : Paris, 1840 – Paris, 1902.
« La photographie documentaire, écrit Pierre Mac Orlan, est littéraire à son insu. » On peut inversement avancer que la plupart des littéraires sont photographes à leur insu. L’exemple le plus frappant nous est offert avec Émile Zola écrivain, considéré comme le photographe de la société du Second Empire, tant la précision de ses descriptions égale la pure et simple acuité de l’objectif. Photographe, on ne croyait pas si bien dire.
Tout en lui le prédispose à rencontrer la photographie. Son sens inné de l’observation, son souci de saisir dans la banalité du quotidien tout ce que la cuirasse de nos habitudes cache à notre regard. Sa volonté de trouver dans tous les aspects les plus fugitifs du réel, beauté ou poésie. Émile Zola, écrivain, ne peut pas envisager la photographie exclusivement comme un aimable passe-temps, mais au contraire comprend très vite l’autonomie réelle et scientifique de ce moyen d’expression : « à mon avis, écrit-il, vous ne pouvez pas dire que vous avez vu quelque chose si vous n’en avez pas pris une photographie, révélant un tas de détails qui, autrement, ne pourraient pas être discernés. » « Quand j’évoque les objets que j’ai vus, je les revois tels qu’ils sont réellement avec leurs lignes, leurs formes, leurs couleurs, leurs odeurs et leurs sons. C’est une matérialisation à outrance, le soleil qui les éclairait m’éblouit presque. » Comme par ses écrits, Zola emprunte ses sujets à l’environnement tout proche de lui, et d’abord à son entourage familial ; peut-être voulait-il en cerner le mystère et retenir le temps...
Les portraits de Jeanne Rozerot, la mère de ses enfants, sont émouvants. Il a su la saisir avec son attachante beauté, tantôt dans le jardin, son regard un peu triste mais plein de rêve, tantôt dans l’intimité, vêtue d’un simple drap blanc, les épaules nues. Au-delà de ce qui peut paraître « rêverie sur le corps féminin », d’autres images montrent Jeanne au milieu de leurs enfants, Denis et Jacques, au moment du goûter ou de la correction des devoirs. L’écrivain aime beaucoup ces moments et s’auto-photographie au sein de sa petite famille, toutes mains enlacées. Le côté intime ne doit pas nous faire oublier l’énergie que déploie Émile Zola en photographie : elle est semblable à celle dépensée pour son remarquable labeur d’écrivain. Il compose des natures mortes, photographie des fleurs, des paysages, des gens, des trains, des automobiles, des scènes de genre à Londres pendant son exil et Paris qu’il aime d’amour.
Exposition Universelle, 1900.
On ne peut pas ignorer le prodigieux ensemble réalisé pendant l’Exposition Universelle de 1900, sans doute unique en son genre. « Il braque son objectif sous tous les angles, écrit son petit-fils le Docteur François Émile-Zola ; pour opérer, il monte sur les terrasses, escalade les tours du Trocadéro ou les deux étages de la Tour Eiffel toute neuve » afin de montrer la foule, l’immensité et le grandiose qui se pressent sur les portes et les perspectives du XXe siècle : il se comporte en précurseur, il faudra bien le reconnaître.
Il faut reconnaître aussi et conclure ; les deux démarches sont parallèles, celle de l’écrivain et celle du photographe. Mêmes pensées, mêmes réflexions, mêmes observations, et ce désir d’en parler, de les montrer, et peut-être avec plus de force, étant donné ce côté « révélateur » de l’image. Zola les découvre tous les jours davantage au grand jour de la lumière. « ... Celles qui dessine autant qu’elle colore, écrit-il, c’est la vie même. » Jean Dieuzaide