"Ce texte constitue une tentative d’explication de cette nouvelle série photographique, le raisonnement ne décrivant pas les intuitions donnant lieu à des improvisations dans l’ici et le maintenant des prises de vues ainsi que les relations implicites de mes images avec des œuvres du passé. Ne prétendant pas tout comprendre de mes propres images, je laisse aux critiques, le soin d’y voir autre chose..Des enfants posent devant mon appareil photographique. Ils ont entre 3 et 12 ans et manipulent des restes humains : des crânes, une colonne vertébrale, un ou deux fémurs, une ou deux mains, un pied.
Les enfants aiment rire de la Mort dont ils côtoient les représentations pendant Halloween, le carnaval d’automne, dans un grand nombre de films d’animation, de films « live », de séries télévisées, de jeux vidéo, de bandes dessinées et bien entendu dans les contes canoniques. Ils adorent se faire peur avec les Loups-garous, les Morts-vivants ou les Vampires. Les fêtes foraines et les parcs d’attractions les invitent à traverser les Tunnels de l’Horreur. L’imaginaire de Tim Burton irrigue le leur. Le succès planétaire de la vidéo Thriller de Mickael Jackson en son temps ou aujourd’hui des deux séquelles du film Twilight, valide mes analyses. Devenus adolescents ils adoptent parfois la mode « gothique ». Toutefois, dans la plupart des familles, on évite de parler de la mort en général, des morts en particulier et surtout de répondre aux questions des plus jeunes portant sur le sujet. Notre société occidentale, même lorsqu’elle produit des représentations de la camarde et en joue avec, est fort éloignée de l’extraordinaire fête mexicaine du dia de los Muertos. Les 1er et 2 novembre, les familles se réunissent dans les cimetières pour y honorer leurs morts avec force Téquilla, sucreries, fleurs, chants, danses et prières. Cette coutume s’accoude à Halloween qui la précède le 31 octobre : les jeunes Mexicains déguisés ne crient pas Trick or Treat mais calavera, c’est à dire crâne en espagnol, annonçant ainsi les deux jours qui suivent.
Cette nouvelle série (2009) instaure des contrastes entre les jeunes visages, les postures, les gestuelles, les habits de princesses (Disney ou Barbie), de super-héros (Power Rangers, Spider Man), ou de squelette ambulant et les crânes dans les mains des enfants, sous leurs pieds, la colonne vertébrale en trophée ou en collier, le(s) fémur(s) en pilon, en altère. Les crânes deviennent ballons, réceptacles, chapeaux, offrandes ou restent de simples crânes, memento mori interrogés par de jeunes Hamlet, de jolies « Madeleine » non-pénitentes, celles- ci), ou bien des Minnie ou des Mickey en deuil de leur moitié. La colonne vertébrale devient trophée ou parure.
Dès la première séance de prises de vues, l’enfant est invité, à faire bouger devant lui un crâne, et les images qui en résultent sont intitulées Double-Je : on peut alors voir la tête du modèle et en flou-bougé, son double interne...et la projection de sa destinée ultime.
Le titre de la série Vanité de l’enfance, enfants et vanités s’inspire de celui d’une exposition Portraits de collectionneurs, collection de portraits (Christophe Bonacorsi, père de Sixtine) organisée par la galerie Domi Nostrae (Lyon) par Christine et Fabrice Tréppoz (parents de Marsile). Par Vanité de l’enfance, j’entends cette formidable innocence, cette liberté des premières années de la vie, un temps où tout semble possible, en fait tout ce que nous perdons en mûrissant, disons-le, en vieillissant. Never more, l’enfance."
Jean-Baptiste Carhaix