Pour cette nouvelle exposition, Sabrina Biancuzzi nous plonge au coeur de l’une de ces plus puissantes obsessions, celle de la disparition.
Le temps, la mémoire et l’enfance ont, à diverses intensités, toujours été au cœur de l’œuvre de Sabrina Biancuzzi, dans la gravure comme dans la photographie. Si elle continue à s’exprimer dans ces deux disciplines, c’est parce que leur frontière reste ténue, poreuse. Cette perméabilité affranchit Sabrina Biancuzzi des cadres qui bornent rêve et réalité.
Cette nouvelle exposition photographique, « Le Crissement du Temps » nous entraîne dans l’obsession en filigrane dans tout son travail, celle de la disparition.
« Un assourdissant silence »
Un univers sombre. De rares silhouettes humaines, plus fantomatiques que réellement incarnées. Des espaces vides, expurgés de toute vie. Des objets abandonnés, en attente des protagonistes d’une pièce de théâtre qui n’aura pas ou plus lieu.
Le temps est paradoxe dans les images de Sabrina Biancuzzi : il semble à la fois avoir déserté les lieux représentés et figé le vivant, comme gelé sous un inextricable glacis de gris. Le temps parait pourtant imperceptiblement faire son office. Sournoisement et inexorablement en marche.
Les œuvres de Sabrina Biancuzzi deviennent sonores. Elles bruissent, grincent, soufflent, râlent. Elles ponctuent l’existence de l’artiste. Nous les contemplons alors à l’aune de nos propres destinées. Elles sont les comptables des heures qui s’égrènent et nous rapprochent un peu plus de l’heure ultime. Nul besoin des aiguilles de la pendule pour nous rappeler la fuite du temps. Les objets (chaises, lits, statues, poupées...) sont les vestiges d’un passé, la trace d’une histoire, le symbole du trépas des êtres aimés.Ce vide nous renvoie à notre propre disparition, à notre condition mortelle et éphémère. À cette enfance révolue dont les traces sont pourtant si profondes, gravées à jamais dans la mémoire. Les lieux (église, chambre, bois, chemins humides...) sont emplis d’un assourdissant silence, où viennent poindre des sons inquiétants, révélant les angoisses qui taraudent l’artiste.
Le rendu des tirages de Sabrina Biancuzzi, leur épaisseur, établissent un parallèle entre la technique utilisée et l’expression finale. Une fois les tirages réalisés, les images sont recouvertes de pigments noirs et disparaissent complètement sous cette matière opaque, comme si Sabrina voulait les enfouir, les oublier. Puis ces souvenirs s’imposent à nouveau à elle, leur force dissout la noirceur qui les dissimule : la photographe doit retirer l’encre masquant les images. Ces dernières, désormais imprégnées d’un reliquat pigmentaire noir, révèlent une vision crépusculaire.
Subtiles, ces images sollicitent plusieurs de nos sens : elles s’offrent non seulement à notre vue, mais aiguisent aussi notre envie d’expérimenter cette matière photographique par le toucher. Enfin, elles crissent à nos oreilles. L’atmosphère onirique des compositions de Sabrina Biancuzzi laisse filtrer une peur que l’on percevait déjà dans ses séries antérieures : celle du temps qui passe. Et donc la peur du temps qu’il reste.