Nadine Hilbert et Gast Bouschet sont des voyageurs, témoins des mutations économiques, sociales et culturelles de notre temps.
Depuis les années 80, ils parcourent le monde entier qu’ils photographient, filment et exposent partout. Ils sont particulièrement fascinés par la capacité de l’image enregistrée à reproduire et commenter la transformation de systèmes politiques et socio-économiques de notre monde. Mutations visibles dans la morphologie des tissus urbains et des zones frontalières, espaces qu’ils affectionnent particulièrement. [insider] est une exposition photo et vidéographique, fascinante et inquiétante, qui déconstruit la relation superficielle que nous entretenons avec l’image contemporaine et médiatique pour réanimer notre conscience critique et politique du monde environnant.
Installation vidéo et photos monumentales, sombres et dépressives, tissent des liens et des assemblages étranges tirés de l’actualité ou du quotidien : The force is blind (La force est aveugle) exposée au VidéoK.01 par exemple, est une vidéo réalisée lors de l’éruption du volcan islandais Eyjafjoll. Comme nombre de voyageurs, les artistes en transit se sont trouvés coincés à l’aéroport de Londres tandis que des nuages de cendres envahissaient le ciel, brouillant la perception des zones soumises à l’ explosion. Dès lors ,Nadine Hilbert et Gast Bouschet ont eu l’idée d’appliquer à même l’objectif de leur caméra des amas de cendres pour reproduire ce trouble visuel et nous faire vivre une expérience perceptive anormale. Ainsi, Londres qu’ils filment maculée de cendres, se présente comme le symbole d’un monde rendu malade par la vision atrophiée que nous avons du réel... car finalement, l’effet produit par les artistes évoque également les symptômes d’une dégénérescence de la vue .
Et c’est là que Nadine Hilbert et Gast Bouschet posent les bases d’un travail singulier qui à grands coups d’images énigmatiques et envoûtantes s’érige contre les politiques impérialistes, les logiques de l’entre soi et du rejet de l’autre. Photographies et vidéos sont donc les armes grâce auxquelles les artistes nous révèlent le sens caché de l’actualité, dénonçant la manipulation des idées et des images, tout autant que les politiques européennes d’immigration ou la précarité des grandes zones urbaines. Cendres de volcan donc, mais aussi boules de poussières et insectes multiples sont les éléments qui « virussent » et brouillent l’image, pour nous pousser à résister au formatage visuel et conceptuel de nos sociétés.
Nadine Hilbert & Gast Bouschet ont représenté le Pavillon du Luxembourg à la Biennale de Venise en 2009.
Magali Gentet
[insider] est une expérience qui vise à charger la matière photographique et vidéographique d’une force affective en mesure d’influencer l’environnement dans lequel elle est projetée. Notre travail s’inspire de pratiques anciennes et aspire à les allier à une conscience capable d’oeuvrer dans le présent.
En Egypte antique par exemple, l’image était considérée comme une matière vivante, par laquelle un dieu ou un démon prenait forme. L’image ne représentait pas ce pouvoir mais le faisait naître. Elle avait une puissance qui paraît invraisemblable à notre époque qui ne voit plus la profondeur de l’image mais la réduit à sa seule superficialité. Le pouvoir suprême de l’image est donc loin, aussi et surtout dans le milieu de l’art contemporain qui perçoit généralement l’influence occulte comme dangereuse pour un progrès sain de la culture occidentale. Nous pensons néanmoins qu’il faut réactiver la capacité de l’image à agir sur le monde comme symbole vivant. L’art doit sortir d’une philosophie, d’une métaphysique afin d’être pertinent aujourd’hui. Il doit se prendre au sérieux, au risque même de paraître absurde.
Notre travail reflète une conscience politique qui émerge d’un état de désespoir profond. Comment résister à l’envoûtement capitaliste ? Comment participer à un monde dans le- quel toute imagination et perspective de changement semble s’effondrer ? Comment ne pas céder à l’idéologie rampante du cynisme? L’expérience que nous proposons peut- être vue comme une tentative de retourner les armes de l’ennemi contre lui. D’utiliser le geste artistique comme un acte de sorcellerie qui vise à maudire l’Empire et à nous libérer de son emprise. Dans un monde figé et sans alternative réelle, nous devons trouver un autre angle d’attaque. Nous sommes à l’aube d’une ère nouvelle.
L’être humain fait de plus en plus partie de connexions complexes dans lesquelles de multiples forces interagissent et défient toute illusion de séparation. Un nouveau type d’image s’impose à nous aujourd’hui. La vidéo et la photographie tissent des liens possibles entre des configurations matérielles et déploient une potentialité ; « réanimer » le monde. Nous créons des assemblages affectifs et ré- sonnants : nuages de cendre volcanique, boules de poussière, cheveux humains, voiles islamiques, insectes et objets noir non identifiables, chauve souris, temples financiers à Londres, avions en chute libre, panneaux d’affichage de cours de bourse... Ces formations désignent une matérialité suspendue entre l’humain et le non-humain. Notre objectif est de remettre en cause la vision égocentrique de l’homme et de pointer vers une nouvelle politique de la vie elle-même dans laquelle l’identité des êtres et la texture du monde sont fluides.
Gast Bouschet, Nadine Hilbert 2011