
La sédimentation de la ville s’opère par couches successives. Un modèle prolifère sur les décombres du précédent, on démolit, on reconstruit. L’image est connue : l’implosion en public des grands ensembles périurbains. La série Downtown Corrida du photographe Alban Lécuyer propose de transposer un patrimoine persistant, héritier de l’histoire et des modes architecturales du continent européen, dans l’environnement anachronique des chantiers de démolition. Rendus génériques par le simple jeu des perspectives ou de la répétition en série, les hôtels particuliers et les façades en tuffeau du XVIIIe siècle deviennent à leur tour précaires, instables. Leur écroulement fait écho à la vulnérabilité de l’habitat périphérique, produit d’un après-guerre en reconstruction et d’une fin de siècle en pleine crise du logement. En privant les objets de mouvement, l’instantané produit alors de nouveaux volumes dont l’excentricité célèbre la fracture, la dislocation, et prône un retour à la fonction oblique de Claude Parent et Paul Virilio. En arrière-plan se dessinent les contours d’une cité empruntée aux peintures métaphysiques de Giorgio de Chirico, un espace morcelé où le champ de vision heurte sans cesse les limites d’une parcelle, d’un terrain, d’un chantier. Les paysages se referment progressivement pour devenir des intérieurs, des périmètres sans issue où l’on devine la métamorphose d’une ville enceinte, à la fois close et en instance de mutation. L’homogénéité des climats et la répétition des motifs participent à la confusion entre documentaire et trucage. Une esthétique proche des vues d’artistes placardées sur les chantiers pour annoncer une nouvelle architecture, écologique et mondialisée, dont la forme s’affranchit du territoire dans lequel elle s’inscrit. La corrida minérale qui se joue dans le décor d’une topographie fictive devient alors tour à tour ironique, théâtrale ou surréaliste.
Pour participer au concours photo vous devez vous connecter
Vous n'avez pas de compte ?
Cliquez-ici


