Que pourrait être « la photographie abstraite »1 ? Tel aurait pu être le sous-titre de l’exposition Subduction pour laquelle, à l’invitation du We-project à Bruxelles, sans titre, 2006 invite deux jeunes artistes, Mathieu Harel-Vivier (1982, vit et travaille à Rennes, France) et Étienne de France (1984, vit et travaille à Reykjavik, Islande), à réactualiser et présenter leurs recherches sur l’absence d’objet dans l’image. Ce projet croisé interroge la contingence des propriétés communément attribuées à la photographie comme médium. Mathieu Harel-Vivier présente un ensemble d’oeuvres issues de la série Spectre (2009 – 2010). La source de ce travail n’est autre qu’un ensemble de films instantanés épluchés par l’artiste. Le retrait de la strate supérieure que forme le papier de cette enveloppe scellée vient marquer le négatif de façon aléatoire. Le support ainsi altéré est ensuite projeté et agrandi sur papier baryté noir et blanc. En contrepoint, le « grand feu » de la série Errance (2009 – 2010) est épinglé au mur, nouvel épiderme, il est la célébration d’un événement poïétique fait de petits riens capables de signifier un réel unique et sans équivalence. Cette image fugace saisie au vol, avec une incroyable netteté, révèle une multitude de micro-explosions et particules de lumière dont la nuit noire constitue désormais l’écran de projection. Le rythme envoûtant de l’installation sonore Osla Vena (2005) d’Étienne de France imprègne l’espace environnant de sa tessiture dense et minimale, tempo suspendu. Le son, régulier, impose un champ cyclique, celui de la vie biologique. C’est cette sensation de boucle, de succession et d’enchaînement qui se déploie aussi dans les photographies Osla Vena (2004), Orga IV (2006) et Orga (2006). A l’inverse du processus de retrait mis en oeuvre par Mathieu Harel-Vivier dans Spectre, ces photographies sont le fruit de l’adition, de la superposition de deux images de la nature : paradoxe s’il en est, de cette nature brute que l’artiste contraint dans un cadrage précis, architecturé. Dans la vidéo Eyma (2006), c’est l’image qui se superpose au son, synthèse d’un processus complexe de mouvements, de couleurs et de formes. Les « mondes flottants », allusion au ukiyô-e, sujet bien connu des estampes japonaises que la composition et l’apparence très graphique des oeuvres de Mathieu Harel-Vivier et Étienne de France rappellent parfois, semblent suspendus entre la présence de la réalité et le fantasme des rêves. Quelque chose se déploie à la surface de l’image, qui devient la partition d’une transe visuelle et sonore. Sans retouche ultérieure, les deux artistes expérimentent divers procédés et techniques, où le réel laisse place à l’abstraction, où la figuration disparaît devant l’expression plastique du support. Faites d’imperceptibles décalages, ces images qui n’en sont plus plongent le regardeur, libéré du postulat de la figuration, dans une torpeur active. À lui désormais de saisir cette matérialité impalpable, d’attraper le surgissement d’un signe au creux d’une photographie qui fait fi de la dialectique de l’enregistrement. Mathieu Harel-Vivier a bénéficié d’une aide à la production de La Criée, centre d’art contemporain, Rennes, France pour la série Spectre, Étienne de France d’une aide technique du Musée de la photographie de Reykajvik, Islande et la production de l’exposition a été réalisée avec le soutien du Fresnoy, studio national des arts contemporains et de sans titre, 2006. 1. Lambert Wiesing, « Comment penser la photographie abstraite ? », trad. de l’allemand par Jean Lauxerois, in Pratiques, réflexions sur l’art, automne 2001, n°11, pp. 48-68.
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