Galerie martinethibaultdelachâtre 4, rue de Saintonge 75003 Paris France
Paola Salerno vit à Paris et depuis longtemps ses images nous viennent d’Italie. Les photographies présentées à l’occasion de cette exposition n’échappent peut-être pas à cette règle même si leur frontalité et leur cadrage resserré quant aux sujets saisis par l’objectif, limitent notre possibilité de les interpréter en fonction d’une origine territoriale. Le nom de l’artiste parfois surdétermine l’origine de ce qui est photographié et pourtant elle a toujours fait preuve d’une certaine retenue quant à cette question. Les indices, les mots et les objets qui dès le début ont imprégné les images de Paola Salerno n’ont pourtant jamais voulu faire l’économie de cette donnée qu’est l’Italie comme lieu de travail et lieu d’un exercice culturel et social existant en dehors et éloigné de son quotidien. Deux raisons à cela : le lieu que l’on traite sur la durée s’inscrit comme lieu expérimental ; la mise à distance de ce qui est proche révèle un autre aspect de l’identité du sujet photographié. C’est à la jonction de ces deux pratiques, durée et mise à distance que nous convie la lecture de l’oeuvre de Paola Salerno.
Les tirages proposés dans l’espace de la galerie s’ils sont récents et montrés pour la première fois relèvent pour certains de prises de vues effectuées dans les années deux-mille. Ils sont comme les éléments fragmentaires d’une oeuvre qui en raison certainement aussi d’une part autobiographique ne peut ou ne veut plus participer d’un jeu artistique dans lequel la surproduction photographique a fini par priver la photographie de sa portée esthétique, c'est-à-dire sa capacité à documenter le réel. En refusant de jouer le jeu de l’actualité du travail, en l’inscrivant dans le temps et la décennie écoulée et en la limitant à quelques images l’artiste nous rappelle combien un élément tel que le temps doit être actif dans l’observation de son oeuvre photographique et audio-visuelle. Paola Salerno a photographié un mur sur lequel on peut lire la phrase , il vero pulcinella si sa chi é (on sait qui est le vrai polichinelle) , un sac d’ordures éventré, des mains de forgerons et une poupée « nue » de couleur « blonde ». Ces photographies même si elles forment un ensemble sont loin de constituer une narration arrêtée ou précise susceptible de nous dire qu’elles fonctionnent comme un tout. Ce qui fait leur intelligence c’est la tension qu’elle exerce entre la crudité voire la dureté de ce qu’elles enregistrent et la beauté photographique dont elles relèvent. Que dire de ce fond bleu, de cette étoffe de travailleur qui obture l’arrière plan des mains grises et usées qui nous sont données comme en référence presque retenue à un corps de peintures religieuses qui avait fait du tissu l’indice de la fortune et de l’élévation ? De même pour les ordures. Les végétaux et le verre y apparaissent au premier plan. Mais quelle plante et quel verre ? Des déchets rejetés d’un sac d’immondices. Il y a comme un effet de déversement dans cette image qui n’est pas sans questionner le modèle de la peinture et de ce qui lui fait écho, l’illusion de la profondeur, et sa capacité à représenter le vivant. C’est tout l’enjeu et la pertinence de ce travail qui assume pleinement son inscription dans le champ artistique. Le réalisme et le formalisme y sont sans cesse en tension.
Et loin de se dissoudre dans une indétermination photographique qui gomme le contenu politique de ce qui est montré, il nous rappelle qu’il n’y pas de geste de création en dehors de cet exercice. Si le politique se joue à cet endroit, concernant la pratique artistique c’est toujours entre la forme et le sujet que se pérennise l’exercice artistique, on peut dire que Paola Salerno ne s’est jamais écartée de cette pratique. Et cela même les images de plus petits formats en témoignent. Et c’est là aussi leur raison d’être. Toutes les oeuvres sorties ici de l’intimité de l’atelier sont un pur concentré d’un travail rare pudique et qui a fait le choix de la discrétion et du don.