galerie in situ 6 rue du pont du Lobi 75006 Paris France
L'exposition «A La Russe» a été conçue pour l'anniversaire des «Ballets Russes» de Dyagilev qui coïncide avec l'année de la Russie en France. Tout artiste russe travaillant pour ce projet se trouve confronté à cette question: doit-il jouer avec les divers clichés concernant la Russie et les Russes? Une grande part de ces clichés fut inventée par les Français, au cours des longues relations Franco-Russes.
Voici à quoi cela ressemble: pendant des siècles, la France a incarné l'ensemble de la culture européenne. Elle était à l'avant-garde du progrés, et insuflait à l'Europe des nouveaux styles. Les aristocrates russes préféraient parler le français, s'exprimant dès lors si pauvrement dans leur langue maternelle, qu'ils s'en trouvaient exposés au ridicule. Même le poète Pushkin, considéré comme fondateur de la littérature russe, apprit avant toute autre langue à parler le français.
Le Siècle des Lumières créa en France une sorte d'«illusion russe». L'impératrice Catherine II avait entretenu une correspondance avec Diderot et Voltaire, afin d'édifier et de légitimer son rôle de dirigeante éclairée. Suite à cet échange, Voltaire était convaincu qu'en France tout était mauvais, tandis que la Russie restait un pays bon et bien, où la véritable liberté d'expression demeurait. A Paris, seuls les Russes pouvaient prétendre connaître la vertu des valeurs françaises. Néanmoins, Voltaire n'embarqua jamais pour la Russie.
Le Marquis de Custine, s'étant rendu à St Pétersbourg suite à une invitation par Nicholas I, fut surpris par la réalité russe éloignée de l'image véhiculée en Europe. Face à ce constat, il inventa la «russophobie». De Custine définit la Russie en tant que «prison des peuples», «terre des esclaves» et «tyrannie asiatique». Plus tard, ces mots furent cités plus d'une fois par V. I. Lénine.
Afin de forger l'opinion publique avant son invasion de la Russie, Napoléon I inventa «la menace russe». Dans ce but, il emprunta la falsification du testament de Pierre le Grand, selon laquelle ce n'était pas Napoléon, mais la Russie qui visait la conquête de l'Europe entière; ainsi, Napoléon n'avait évidemment d'autre choix que de contrer cette agression.
Plus tard, ce fut le vicomte de Vogüé, qui inventa «l'âme russe» et qui mit à la mode «la grande littérature russe» — Tolstoy, Dostoyevsky, Chekhov, et bien d'autres. Selon de Vogüé, l'âme russe serait comme le borsch ou l'okroshka — des soupes, constituées de nombreux ingrédients imprévisibles. Il considérait ses compatriotes français comme trop cyniques et trop matérialistes, tandis que les russes possédaient toutes les caractéristiques opposées.
Un seul Russe audacieux — Sergey Dyagilev — qui entreprit de briser les mythes français qu'ils avaient eux-même fabriqués. Grâce à Dyagilev, le monde connut les exotiques «ballets russes» et autres «avant-garde russe». Dès lors, les ballerines américaines choisissent des noms aux sonorités russes, et les Français recommencèrent à décrypter «l'âme russe». On retrouve aujourd'hui tous ces éléments dans les oeuvres de Werber ou de Beigbeder.
Est-il possible de prolonger l'exploitation de ces âneries ? Les Blue Noses ont choisi de le faire, produisant un medley avec «la beauté russe», «l'avant-garde russe», «la tyrannie russe» et autres fantasmes français, unis en des objets formalistes, évoquant vaguement les icônes, les gonfalons et les palaces de contes de fée; en armure suprématiste et avec pour arrière-plan des motifs folkloriques de Palekh et de Khokhloma; tout cela orchestré par la musique de Stravinsky. Les «beautés» elles-mêmes apprécient tout à fait ceci.