Théâtre du Crochetan rue du Théâtre 6 1870 Monthey Suisse
Dès les débuts de la photographie, le végétal intéresse botanistes, scientifiques, artistes et photographes, conscients de l’apport du nouveau procédé. Si certains appréhendent la nature sous un angle scientifique (comme en attestent les dessins photogéniques de William Henry Fox Talbot1 ou les cyanotypes d’Anna Atkins2), d’autres l’apprêtent, la composent telle une nature morte. Les modernistes américains tels Paul Strand (1890-1976), Edward Weston (1886-1958) et Imogen Cunningham (1883-1976) ont notamment sublimé, dans des cadrages serrés, les végétaux avec la même grâce que celle accordée aux corps féminins. Robert Mapplethorpe (1946-1989) quant à lui se concentre, à partir des années 80, sur des natures mortes de fleurs - orchidées, tulipes, lys - des nus sculpturaux et des portraits en posant la question de la beauté formelle classique et du raffinement du sujet.
Nourri de ces références3 et mu par un intérêt esthétique, Robert Hofer se rend un matin de novembre 2004 particulièrement froid au Musée cantonal d’Histoire naturelle de Sion4 afin d’accéder aux herbiers historiques de la collection. Sa manière de procéder est méticuleuse d’abord dans le choix des plantes, puis dans leur façonnage et enfin dans le protocole de prise de vue. Avec une minutie extrême, il couche à même la vitre d’un scanner les végétaux sélectionnés pour leurs volutes originales et leur structure insolite. La lumière verticale de l’appareil tombe avec un éclat tranchant sur le sujet tandis que le reste de l’image est plongé dans une profonde obscurité. Puis, Robert Hofer n’hésite pas à travailler le cliché en positif ou en négatif selon ses envies. Le végétal devient alors prétexte à des compositions purement photographiques. En amoureux des formes, l’artiste modèle ce dernier selon d’élégantes circonvolutions. Ne s’interdisant pas les ablations pour aller à plus d’évidence plastique, il représente une nature transfigurée qu’il décline sur un mode formel : calices de fleurs, rameaux d’érable, crosses de fougère, feuilles en palmettes, boutons en rosettes… constituent autant de motifs géométriques au potentiel ornemental manifeste. A la couleur, Robert Hofer préfère la sobriété du noir et blanc qui unifie le regard, épure les lignes et crée une image dépourvue de repères temporels qui capte la substance, la quintessence végétale. L’alternance des fonds noirs et blancs constitue un immense damier : les portions ainsi contrastées de l’arrière-plan encadrent de manière frappante la silhouette sombre ou claire des végétaux. Cette « opposition d’une case claire et d’une case sombre est d’une beauté fondamentale » comme le soulignait Man Ray (1890-1976) qui faisait alors référence à l’esthétique des échecs dont il était passionné. Ce jeu entre ombre et lumière confère à ces végétaux une présence évidente. Tel un sculpteur de lumière, Robert Hofer joue sur les effets de transparence et d’opacité de chaque matière. Si le noir profond et le blanc le plus pur cohabitent, notons la richesse étonnante des nuances, l’extrême attention portée aux demi-teintes, aux différentes qualités de gris déclinées selon les reliefs et les creux des fragments végétaux. Pour souligner cette orientation graphique, dans le double triptyque à la composition rigoureuse, les détails sont étudiés avec soin. Au sein du cadre carré à l’équilibre parfait, chaque élément est à sa place. L’espace dénué de profondeur est uniquement habité par les végétaux vus frontalement. Le cadrage serré et en plongée les détache de leur contexte et leur confère un caractère puissant, monumental et imposant.
Dans la continuité d’un héritage totalement assimilé, en quête de la forme parfaite, ou tout au moins parfaitement photographiée, Robert Hofer aspire à un idéal classique et témoigne d’un goût pour la beauté, l’ordre, l’équilibre, la géométrie et la symétrie. Par son style pur et dépouillé, il réduit les végétaux à des formes presque abstraites. Postulant la précision maximale, il produit des images dont la grande netteté met en valeur la structure, la texture, les nervures, les pliures, les dessins et les motifs propres à chaque plante. Le piqué de ces radiographies quasi médicales confère une incroyable qualité tactile aux photographies et fait ressortir le grain des végétaux, leur léger duvet, leur rigidité ou au contraire leur souplesse. Le grossissement des plus infimes détails stimule les sens et nous invite à effleurer du regard ces matières piquantes, rugueuses, duveteuses ou lisses. Ici, le délicat calice séché qui entoure le physalis d’une membrane veinée se mue en un frêle lampion de dentelle finement ciselée. La proximité inhabituelle avec les éléments naturels que nous offre l’artiste nous amène à en reconsidérer l’harmonie plastique, alors que microcosme et macrocosme se confondent. Soucieux de perfection formelle, Robert Hofer a le goût du bel ouvrage. Tirés sur un papier Hahnemühle mat, moelleux, au toucher exceptionnel et au rendu visuel fascinant, sans encadrement et sans verre, les phytogrammes1 nous incitent à renouer avec le plaisir de la gravure, technique que rappelle la qualité intrinsèque des végétaux ainsi transcendée, magnifiée. Dans une maîtrise admirable du sujet et des procédés mis en œuvre, Robert Hofer propose une image limpide de la réalité, restituée de manière si intense que le spectateur en est frappé comme par une révélation. Source de plaisir et de beauté, la nature invite à une approche méditative. Nous contemplons les boutons floraux, les rinceaux, les fougères enroulées, fascinés par leur raffinement. Robert Hofer finit par nous convaincre : la nature est le suprême modèle de la création.
Julia Hountou
Historienne de l’art / Pensionnaire à la Villa Médicis en 2009-2010
1 Le scientifique et artiste William Henri Fox Talbot (1800-1877) inventa un des premiers procédés photographiques - le papier salé - en 1839. Il nommait photogenic drawings les photogrammes végétaux qu’il réalisait en plaçant feuilles, rameaux et autre matériel végétal directement sur le papier sensibilisé.
2 Anna Atkins (1799-1871) est une botaniste britannique. Elle devient membre, en 1839, de la Société botanique de Londres, l’une des rares sociétés savantes ouvertes aux femmes. En 1841, elle commence à s’intéresser aux algues suite à la publication de A Manual of the British marine Algae de William Henry Harvey (1811-1866). Elle connaît très bien les travaux de sir John Herschel (1792-1871) et de William Henry Fox Talbot (1800-1877), deux pionniers de la photographie. Entre 1843 et 1854, paraissent une douzaine d’exemplaires de son ouvrage British Algae : Cyanotype Impressions comportant chacun 389 cyanotypes d’algues anglaises et quatorze pages manuscrites. Cet ouvrage est le premier à utiliser la photographie pour illustrer des travaux scientifiques, avant même The pencil of Nature (1844) de William Henry Fox Talbot.
3 En collectionneur de livres de photographies, Robert Hofer se penche sur les dessins photogéniques de William Henri Fox Talbot et plus particulièrement sur l’édition originale publiée en 1928 de Urformen der Kunst - Wundergarten der Natur : das fotografische Werk in einem Band (Les formes originales de l’art) de Karl Blossfeldt (1865-1932), ouvrage de référence en terme de photographie florale.
4 Le Musée cantonal d’histoire naturelle conserve d’importantes collections scientifiques qui sont une référence pour l’identification des espèces présentes en Valais et dans les Alpes. Elles témoignent des travaux scientifiques réalisés depuis près de deux cents ans en Valais (Suisse). Elles contiennent environ 3 500 roches et minéraux, 650 fossiles, 20 000 plantes du Valais et 3 500 animaux.
5 Monique Tornay, une amie écrivain du photographe a trouvé ce néologisme constitué du préfixe “phyto-” qui vient du grec et signifie végétal et du suffixe “gramme” - du grec ancien (gramma : « signe, écrit »).