Les Rencontres d'Arles 2010 34 rue du docteur Fanton 13200 Arles France
L’approche conceptuelle de la photographie de Roe Ethridge s’attaque de manière ludique aux traditions et aux conventions de la photographie elle-même. En refusant la moindre autonomie de l’image individuelle, Ethridge réalise des juxtapositions inattendues de photographies en couleurs, en mêlant le domaine de la « photographie d’art » avec une imagerie plus communément associée au domaine commercial. Avec ses séries de photographies, dont résultent des formes variées d’analogies et de significations interstitielles, Ethridge propose une sélection d’images en apparence banales emprente d’une touche d’hyperréalité troublante. Souvent, leur sensibilité décalée recèle une origine méticuleusement structurée, manufacturée.
Si elles suivent une démarche généralement sérielle et thématique, les images au sein d’une série pourraient être perçues comme une sélection aléatoire sur un site d’images libres de droits. Le sens de l’oeuvre se développe plus comme un essai photographique que comme images distinctes d’instants individuels, en rappelant le format éditorial d’un magazine. Des sujets en apparence très variés se côtoient et forcent le spectateur à se débattre avec les glissements entre différents univers : documentaire, mode, publicité, paysage, portrait, catalogue d’images. On découvre ainsi un portrait réalisé en studio à côté d’un coucher de soleil digne d’une carte postale ou d’une composition de natures mortes un peu kitsch d’un catalogue de cadeaux.
Dans sa série récente « Rockaway, New York » (2007), par exemple, il poursuit un thème visiblement « côtier », mais les images elles-mêmes s’éloignent largement du sujet de la mer, dans une attitude détachée qui présente des sujets variés comme équivalents interchangeables. Le spectateur est catapulté d’un autoportrait ironique de l’artiste portant une casquette de capitaine à des surfers sur une vague, en passant par une scène de promenade morne sur une plage par temps couvert, des ferries à quai à Bombay, une assiette d’huîtres luisantes, ouvertes sur leurs demies coquilles, une photographie de studio d’un mannequin qui dénoue d’un air détaché son haut de bikini rouge, une publicité pour un catalogue Harry and David, un coucher de soleil aux Antilles, ou des photographies techniques de la lune. Ces associations improbables déclenchent une tension entre, par exemple, le regard distant de la photographie « documentaire » et l’intention persuasive de la photographie publicitaire, ou encore entre la photographie de studio « imparfaite » et l’esthétique du cliché personnel.
Comme l’explique l’artiste, il n’essaie pas de générer une construction littérale du thème marin, mais de suggérer quelque chose de semblable à une « fugue », aux multiples perspectives qui s’entrecroisent au travers de l’oeuvre dans un dialogue en contrepoint qui se joue indirectement des sujets présentés.
Des juxtapositions intentionnelles libèrent les photographies du contexte de leurs analogies habituelles. Ces écarts synaptiques entre les images génèrent de nouveaux sens, de nouvelles sensibilités, et souvent une forme quasi-narrative. Influencé par la démarche d’appropriation et les approches conceptuelles sérielles de nombreux artistes depuis la fin des années 1970 et les années 1980, comme Richard Prince, Christopher Williams ou Thomas Ruff, le travail d’Ethridge renonce aux notions modernistes de l’originalité au sein d’une photographie pour embrasser une vision post-appropriative du concept d’auteur dans laquelle le sens se cache dans les jonctions interstitielles, et est délimité par les moyens et les mécanismes de la remise en scène. Profitant des avancées numériques qui lui apportent désormais des possibilités jamais atteintes pour retoucher des images existantes, 26 Ethridge est particulièrement à l’aise en tant qu’artiste actif aussi bien dans la photographie commerciale qu’artistique.
Ce qui lui confère le potentiel de déformer stratégiquement des topologies photographiques existantes et de suggérer des glissements entre celles-ci. En exhumant et en échantillonnant le passé de la photographie, Ethridge donne à voir délibérément une imperfection et retrace l’histoire, les genres et les styles photographiques dans le but de les opposer les uns aux autres. Il suggère ainsi que les différents domaines de la photographie – qu’ils soient « majeurs » ou « mineurs » – sont interchangeables dans la société actuelle dominée par la consommation.
De plus, sa démarche révèle la proposition potentiellement déroutante que toute image – et par extension, tout objet lui-même – peut être substituée à une autre, ce qui insinue que notre contemporanéité pourrait être façonné moins par les objets spécifiques que nous consommons, et plus par les modes d’approvisionnement et de distribution qui les acheminent autour du monde.