CHU Hautepierre Strasbourg Strasbourg 67000 Strasbourg France
Une vue générale d’une grande ville. Un large panorama depuis les abords de la basilique Notre Dame de la Garde à Marseille. Au premier plan quelques rochers, un chemin que quelques personnes arpentent. D’autres promeneurs sur la droite et légèrement en arrière de la première scène, descendent d’une colline. En contrebas, la ville, ses immeubles, un stade de football, des joueurs. Plus loin encore la mer. Dans le ciel quelques mouettes. A première vue, cela ne suffit pas pour comprendre cette image (et toutes les autres) de Christophe Mattern. Il faut s’y reprendre. Il faut voir et revoir, voir ce que l’on n’a pas encore déjà vu. Attendre, face à l’image pour qu’enfin, par une attention plus grande, la perception soit plus aiguë et la description plus ample. On décrira alors les habits des personnages, leurs démarches, nonchalantes, épuisées, volontaires, la physionomie des corps, ce qu’ils font : une femme, veste rouge. Un homme en contrebas, les mains croisés dans le dos, regarde vers le bas la ville. À sa gauche, sur un monticule, une autre femme consulte un plan ou un guide touristique . Un homme âgé semble peiner dans le chemin. Tout au loin, un bateau entre dans la rade. Ou encore, sur le terrain de football, les joueurs sont tous de rouge vêtus, mais leurs actions de jeu sont aberrantes. Il ne peut en être ainsi, pense-t-on. On s’interroge : que se passe-t-il ? Que s’est-il passé en effet pour en être arrivé là, à ce constat presque irréel ? Car tout se passe comme si (et en fait c’est ainsi), sur cette pelouse verte, les principales et différentes phases de jeux possibles lors d’un match étaient représentées simultanément : fautes, dribbles, percées en avant, feintes de corps, positions de hors jeu, repositionnements, coups francs, amortis, etc… On a pu dire de la photographie qu’elle est un temps figé, un moment ou un présent arrêté dans une forme. La question qui traverse tout le travail de Christophe Mattern est d’un autre ordre. Combien de temps a été saisi durant la prise de vue ? Ou encore cette interrogation de Jean-Christophe Bailly : « de combien de temps une image se souvient-elle ? »(1). La réponse est là, sous nos yeux : de nombreuses temporalités y sont à l’œuvre. Pour la photographie de Marseille, onze heures échelonnées sur deux jours. Pour le « Terminal St Johann à Bâle », deux heures trente. Une après-midi entière pour les reconstitutions policières dans les arènes d’Arles. Les légendes en témoignent. Attentif aux moindres gestes, soucieux des détails les plus infimes, préoccupé par les événements du monde, Christophe Mattern, dans un matérialisme contemplatif, nous invite à ces moments là, qu’il n’a de cesse de rassembler sous la forme d’une image unique, grande et pleine de vie inépuisable où se rencontrent, comme dans un tourbillon, des personnages qui ne se sont jamais croisés mais qui sont passés par là, un jour, une heure, les temps de la photographie. Texte de Christian Milovanoff, publié dans «Inframince n°4» (Cahiers de l’Ecole Nationale Supérieure de la Photographie)