Dmitry Gutov est un des personnages les plus emblématiques et les plus mystérieux de la scène artistique moscovite. Au cours des dix dernières années il n’a manqué aucun des événements artistiques internationaux avec la participation russe : ni la Biennale de Sao Paulo en 2002, ni l’exposition Berlin-Moscou à Martin-Gropius-Bau en 2003, ni la Biennale de Venise en 2007, ni Documenta-12, ni la troisième Biennale d’art contemporain de Moscou en 2009, ni l’exposition qui vient d’ouvrir ses portes au musée Reina Sofia de Madrid.
Gutov est un romantique porté sur la métaphysique et un partisan convaincu du discours gauchiste. Gutov, philosophe et historien d’art, fonda au début des années quatre-vingt-dix un séminaire artistique et philosophique qui est toujours actif aujourd’hui ; au centre de ses intérêts se trouvait l’étude de l’oeuvre du critique marxiste Mikhail Lifchitz. Lifchitz se signala dès les années vingt au moment de l’épanouissement de l’avantgarde russe et il ne cessa de réviser l’enseignement marxiste sous Staline, Khrouchtchev et Brejnev. Gutov lui a consacré, à lui et à l’histoire de la Russie, un brillant documentaire. En tant qu’artiste, le théoricien Gutov collabore avec tous les médias : il construit des installations globales dans les sites naturels, fait de la peinture, de la sculpture, de la photographie, de la vidéo etc.
Pour la galerie Taïss, Dmitry Gutov a réalisé un projet spécial intitulé « Notes chaotiques ». L’idée de ce projet lui est venue en regardant les photos-souvenirs qu’il avait prises au cours de ses promenades aux abords de Moscou. On y voyait les lisières des bois et les champs enneigés entièrement recouverts de constructions bizarres en barbelés et filets métalliques, rappelant les enclos des prisons ou les restes mortels post-apocalyptiques de la civilisation contemporaine. Ces vestiges n’étaient en fait que les détritus ménagers des habitants qui transforment leurs maisons et leurs petits lopins de terre en véritables forteresses au
moyen des divers matériaux agressifs qu’ils ont sous la main, pour se protéger des dangers potentiels dont la menace pèse sur leur microcosme et macrocosme et imprègne leur existence toute entière. Leur « autodéfense » provoque l’agression car la défense et l’offensive sont métaphysiquement liées. Ce phénomène global est particulièrement manifeste en Russie où l’on construit très vite mais on démolit très vite aussi et jusqu’à la base. Ce n’est pas par hasard que l’Internationale, chant né en France, n’a eu nulle part une raisonnance aussi forte qu’en Union Soviétique dans sa nouvelle rédaction : « Nous démolirons le monde entier de la violence/ jusqu’à la base puis/nous construirons notre monde à nous, un monde nouveau,/ – Celui qui n’était rien, deviendra tout »…
Après ces photos-notes dans son carnet de voyage, Gutov crée des objets sculpturaux en métal.