
Krisal Galerie 25 rue du Pont-Neuf 1227 Carouge-Genève Suisse
C'est en Afrique. C'est une très belle suite, poursuite que nous propose William Ropp dans ce voyage initiatique. De la première photo, un jeune garçon endormi, en position foetale, lové dans un confortable nid, dessiné par les racines d'un arbre que l'on suppose gigantesque à la dernière, un adolescent, de dos, l'attitude dominante, regardant l'horizon, un fleuve, des cieux disséqués par la ligne sombre de la forêt vierge, nous suivons l'apprentissage de l'homme et de son environnement. Lorsque j'ai demandé à William Ropp pourquoi l'Afrique, celui-ci me raconte un arrière, arrière Grand-Père qui vers 1880 remonte le Niger de Bamako à Tombouctou, traverse le Sénégal. Cet aïeul, Louis Jacolliot a écrit des livres, une légende dans la famille, une mémoire qui de son propre aveux fait trace dans l'imaginaire du jeune William. Et comme le garant des ombres du passé, le photographe avec des intensités contrastées, du très sombre au très peu clair, l'art du gris, nous montre une Afrique vivante, avec ses retenues, ses mystères. Ce sont des enfants, des adolescente, des jeunes gens, ils posent, ils sont mis en scène dans leur environnement naturel où l'eau la terre, la végétation sont comme le prolongement de leur existence. Portraits sérés ou en situation, des visages aux yeux ouverts, grand ouverts, mi-clos, fermés, la sensation de plaisir est présente, la position des corps toujours nonchalant malgré la pose renforce cette impression, il s'agit ici de grâce, comme si ces personnages étaient en permanente découverte de leur propre être en se confondant avec la Nature, comme une espèce d'Eden retrouvé. Chaque photographie possède en elle la promesse de celle qui va suivre, une logique esthétique, parfois didactique quand WIlliam Ropp glisse des natures mortes comme un rappel à la condition humaine.
"Nous avons besoin d'un mythe pour exprimer le fait obscure et inavouable que la passion est liée à la mort" a écrit Denis de Rougemont dans "l'Amour et l'Occident". Cette affirmation résume parfaitement le travail de William Ropp. On trouve dans les photographies de celui-ci tout ce qui tourmente le genre humain depuis toujours, depuis "l'état de nature" comme décrit dans ce livre. Sa photographie éveille à la fois le sentiment angoissant d'être dépendant d'un destin personnel et le soulagement de savoir que l'art est un moyen d'échapper à cette inquiétude.
La dimension spirituelle et mystique des photographies d'Afrique, qui double leur dimension imaginaire, marque une nette évolution dans le travail de WIlliam Ropp, évolution que l'on suppose liée à sa rencontre avec le continent noir, un monde radicalement autre à la nature toute puissante.
Cette dimension ne situe pas pour autant ces images, loin s'en faut, dans la tradition de l'art chrétien, ou alors pour la revisiter. La mystique de l'artiste est à la fois syncrétique et profane. Composant avec l'animisme, elle mêle iconographie chrétienne et symbolique bouddhiste. Le lotus, emblème de bouddha, puise sa substance vitale dans le limon pour s'épanouir au-dessus de la surface de l'eau; il symbolise ainsi l'illumination, l'épanouissement de l'éveil, qui s'enracine dans la boue des souffrances, des troubles et des désirs. Mais l'emprunt aux imageries religieuses n'est pour WIliam Ropp qu'un moyen de transmettre sa vision d'un métamorphose initiatique, d'une oeuvre au noir transmutant le plomb en or.
Et l'enfant ? Il est celui qui n'a pas encore goûté au fruit de l'arbre de la connaissance, celui que la pensée rationnelle et son discours n'ont pas encore réduit en esclavage, celui qui conserve un accès naturel à des vérités ineffables. Mais il est aussi celui qui, pour cette raison même ne peut communique son immense savoir que par le regard. Le mot français enfant provient du latin infans, qui signifie "Celui qui ne parle pas", l'enfant infans de William Ropp n'est-il pas, en dernière analyse, l'artiste lui-même, qui puise dans son intuition la matière de sa vision, et nous en fait l'offrande muette, comme ces enfants sortant de l'eau les mains tendues en coupe... mais les mains vides ?
Géraldine Schrepfer