Hôtel Hannon 1, avenue de la Jonction 1060 Bruxelles Belgique
L’exposition «Ontem (hier)» montre un travail mené depuis plusieurs années à Porto, qui regroupe paysages, scènes intérieures et portraits. Ce projet est arrivé très naturellement, il s’agit d’un besoin de
photographier ce qui est autour de moi en m’inspirant de la vie de tous les jours. Les personnes que j’ai photographiées, je les ai croisées et abordées dans la rue et dans les lieux que je fréquentais. Cela fait treize ans que j’habite à Porto et j’ai toujours beaucoup photographié et observé la ville, mais pour ce travail, je me suis intéressé à une réalité plus spécifique. Il existe à Porto ce que nous appelons des Iles. Il s’agit de quartiers construits au XIXe siècle avec l’arrivée des émigrants venus du Nord du Portugal pour travailler en ville. C’est assez particulier: chaque rue a une seule porte d’entrée et est composée de petites maisons de 16m⇢ avec des sanitaires collectifs. Ces espaces urbains aujourd’hui désertés par les ouvriers sont occupés par des gens qui vivent de la sécurité sociale ou de petits arrangements; cela fait aussi partie de l’énergie de cette ville. La vie se passe comme dans une île complètement isolée, les lieux et les gens sont peu accessibles, c’est une vie à la fois socialement et individuellement en dehors de la société; cet isolement est dû à la pauvreté, l’alcool et la drogue. J’ai commencé ce projet en passant dans ces rues où on ne passe pas naturellement, en photographiant d’abord les maisons, ensuite les intérieurs et puis les gens. Étonnamment, ce sont des lieux où je me sens bien, même s’il y a des risques et du danger: cette frontière difficile à franchir me fascine, je voulais voir comment la vie se passe pour ces habitants marginaux, écouter leurs existences, et ce qu’ils pensent de la vie.
JLG: Dans quelle mesure ton travail est-il lié à ta vie personnelle?
AC: J’ai beaucoup réfléchi à cela. Un jour, j’ai lu une interview du réalisateur algérien Abdel Kechiche: il affirmait que son cinéma était le reflet de sa vie, de son histoire personnelle. Mon père est mort lorsque j’avais trois ans et j’ai vécu des choses très fortes avec beaucoup de souffrances. Je n’aime pas interpréter ces émotions, mais je pense parfois que cela a fait naître en moi un sentiment de révolte vis-à-vis des fauxsemblants bourgeois et de l’injustice sociale. Si l’univers des gens pauvres m’intéresse, c’est parce que j’aime être avec ceux qui ont une vie difficile, qui ont des histoires à raconter. Vivre, c’est penser tous les jours à mon travail de photographe, c’est lire les pensées des autres, écrire mes idées, vivre des expériences, comprendre comment faire les choses. Je ne peux pas m’imaginer sans faire mon travail. Quelles sont les choses importantes, qu’est-ce qui te fait te réveiller tous les matins, qu’est-ce qui m’attache ici, comment continuer à évoluer? Ce sont les questions que je pose dans ce travail, et pour moi, la réponse se trouve dans les sentiments que l’on éprouve pour les autres, dans l’amour pour sa famille, des choses basiques et essentielles.
Extrait d’une interview d’André Cepeda par Jean-Louis Godefroid, Commissaire de l’exposition, Porto, octobre 2009