Box Galerie 102 chaussée de Vleurgat 1050 Bruxelles Belgique
Les modèles de Carla van de Puttelaar ne sont pas parfaits, même s’ils donnent cette impression à première vue. Du fait que la couleur de la peau ait été blanchie à dessein, les corps font penser à des statues peintes, bidimensionnelles, en marbre quelque peu translucide ou en albâtre. Mais les détails, ce sont les petits défauts de la perfection, que la photographe salue avec joie. Une écorchure, la rougeur d’un talon, la chair de poule, des cils singulièrement raides, un grain de beauté ou mieux encore un motif de grains de beautés sont accueillis par l’artiste comme un présent du ciel. Elle-même dirait : « un petit cadeau ». Avec elle, une aréole peut devenir un paysage énigmatique. Toutes ces atteintes à la perfection de l’épiderme seraient effacées en un tour de main par d’autres photographes. La retouche répond à l’aspiration romantique d’une apparence physique surnaturelle, quasi divine, d’une séduction irrésistible. La retouche ramène le physique au niveau d’une norme supposée générale tandis que Carla van de Puttelaar recherche au contraire ce qu’il y a de particulier, de personnel chez les femmes qu’elle choisit pour modèles. L’intérêt qu’elle porte à ces modèles s’exprime à travers chacune des photos. Elle a fixé leur image en une série de portraits de nus qui constitue un ensemble autonome. La technique est frappante. Quand on veut faire, de près, un portrait en pied qui restitue tous les détails avec une netteté égale, on ne peut se contenter d’une seule photo car il se produit un effet de distorsion. Carla van de Puttelaar a pris trois photos de chacun de ses modèles, de même qu’un peintre peut également vouloir accorder la même attention à chaque élément d’un portrait. Puis la photographe a effectué un montage impeccable des trois clichés partiels. (…) Des turbulences se forment dans la tête du spectateur qui contemple ces photos. Il pourrait voir, dans ces nus étendus, représentés en pied, précisément en raison de cette pâleur relative, de ces yeux clos et du noir profond en arrière-plan, l’ombre de la Camarde. Mais il s’agit d’un leurre. Sur les photos de Carla van de Puttelaar, les femmes gardent leur personnalité, elles posent – l’une plus ouvertement que l’autre. Elles vivent. Elles font bon accueil à la photographe, mais pas au spectateur, d’une certaine façon. Elles ne sont pas engageantes, demeurent retirées en leur for intérieur. Elles n’ont absolument rien d’érotique, encore moins de pornographique. Et c’est là un effet mystérieux de ces photos, car ces femmes sont jeunes et belles. Mais leur beauté ne semble pas de ce monde. C’est comme si l’artiste avait privé le spectateur de ses pulsions hormonales et l’obligeait à regarder, sans jugement préconçu ni arrière-pensées, ce qu’est un corps, une fois qu’il a été soustrait aux remous sexuels de ce monde. De quelle manière s’y prend-elle, c’est son secret. La pâleur des femmes sur ses photos est seulement un élément parmi d’autres, au même titre que les yeux clos et le noir sur lequel elles reposent. À supposer qu’elles soient allongées dans l’herbe, avec les yeux grands ouverts et la peau rose, la possibilité qu’elles deviennent l’objet de rêveries érotiques resterait minime. Sont-elles donc irréelles ? On peut multiplier les objections à cette idée. Chaque détail confirme leur réalité. Non, décidément, comment elle arrive à produire cet effet reste le secret de Carla van de Puttelaar. (…)
Bob Frommé. Extrait de « La beauté d’un naevus», in The Beholder’s Eye