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Galerie Nadar Médiathèque André Malraux, 26 rue Famélart 59200 Tourcoing France
"Mon coin d’Artois, près d’Arras, étend sa vaste plaine entre Duisans, Warlus, Agnez, Haute-Avesnes… Les terres y ont pris noms, à l’origine mystérieuse, Chemin Malfait, les Longs Dix, la Grande Couture, les Correttes, la Voie des Tourelles, le Fond de la Maie, les Fourdraises, la Couturelle… et Bout du Monde, le bout de mon monde… Je quitte Duisans… la rue de la Chapelle monte à l’abri des maisons, puis des haies… et soudain le vent d’ouest, le vent du large, fouette le visage. Le talus s’amenuise, libère la vue. La route, une vicinale, déroule en courbe plongeante son ruban d’asphalte humide, luisant, avant d’obliquer à l’est vers la ville. Les chemins paysans bordent les champs, longs, larges… on n’en voit pas le bout, si ce n’est suggéré par l’avancée silencieuse et rectiligne d’une voiture. Quelques buissons ont survécu au remembrement et témoignent d’une antique nature. Le bois de Warlus couvre l’horizon, maigre abri de quelques chevreuils. Deux ans d’exploration, rythmés par les saisons... Je marche, je regarde, j’inventorie, je scrute les liserés de pousses naissantes, les alignements de cultures, les amas de récoltes, les tas de fumier dégoulinant leur jus noirâtre, les ondoiements des céréales, l’armée des maïs, les forêts de colza, la cascade des fanes dans les sillons… Je pénètre les entrelacements de ronces, les fouillis des herbes, frôle les aubépines, piétine les amas de feuilles putréfiées ou craquantes… Je m’éblouis du vert tendre, miraculeux, des chatons annonciateurs de printemps… Les ors des soleils levants, les bruns profonds des sols, les verts aux innombrables déclinaisons m’émerveillent. Novembre dissémine les amoncellements de betteraves, éclaircies au fil des jours par les pluies automnales, bientôt étincelantes, somptueuses… En décembre, les sols réapparaissent, retournés par douze socs inexorables, hersés, émiettés. Les haies dénudées révèlent leurs moindres brindilles.
Je cherche les lignes, les enchevêtrements, les entrelacements, les rythmes diffus, tentant d’organiser l’anarchie naturelle. Je succombe à la gravité, ignorant des ciels trop beaux. Van Gogh a croqué ces éteules, Soulages a peint ces sillons, Bazaine, dessiné ces herbes pâles… Hartung en aurait-il emprunté la dynamique? Et tant d’autres... J’épouse leurs inspirations et tente d’en imprégner mes surfaces argentiques." Christian Guffroy