Point Rouge Gallery 4 rue du Dahomey 75011 Paris France
La galerie de portraits signés Andreas Mahl nous convie au coeur d’une voluptueuse et joyeuse danse, convoquant créatures des cieux et des tréfonds. Nous devenons les spectateurs d’une joute entre le vice et la vertu. Mais en nous approchant des délicats tirages de petits formats, véritables écrins pour ces êtres divins, l’ambiguïté, l’humour et la sensualité font voler en éclat le manichéisme du combat entre le Bien et le Mal. Comme un clin d’oeil à l’Histoire de l’Art, devant l’objectif d’Andreas Mahl, Anges et Démons sèment le trouble et appellent au péché originel. Les mises en scènes du photographe sont comme le prolongement moderne de celles du Baron Von Gloeden. Tous les accessoires sont là pour caractériser l’essence primaire de chacun : ailes duveteuses et immaculées, arcs et flèches d’amour, colombes et papillons pour les Anges ; cornes et appendices caudales, tridents, serpents et araignées pour les Démons. Leur apparât est respecté... Une fraction de seconde seulement ! Les Anges rejoignent en effet les tentateurs de l’Enfer et contredisent la formule qui veut qu’ils n’ont pas de sexe : ils exhibent fièrement leur virilité, cambrent lascivement leur dos, affirmant ainsi leur parenté avec les êtres de chair et de sang. Et si l’on est moins surpris que les Démons arborent également leurs turgescences masculines, exagèrent l’arrondi de leurs fesses, c’est de leurs visages que naît l’émoi : on y lit la même candeur, la même fraîcheur que dans celui des Anges. Ce double constat nous oblige aussitôt à reconsidérer le statut originel des protagonistes de ce corpus d’images. Chez tous on y voit alors apparaître un jeu entre ingénuité et sensualité.
« S’il était besoin de présenter Andreas Mahl, on avancerait sans risque d’erreur qu’il est d’abord un esthète habile à se frayer l’accès à la beauté. A cela tout est bon : l’implacable précision de l’objectif, la touche colorée ajoutée au besoin sur l’épreuve, le travail à même la peau du Polaroid tout juste venu à la lumière, le rendu précieux des sels d’argent, sans compter l’habileté d’une main d’artisan quand il parachève l’oeuvre encadrée. Son travail livre à celui qui sait le regarder l’univers d’un artiste inspiré par ses obsessions et capable d’un perpétuel renouvellement. En s’appropriant les êtres et les choses, en pliant la matière, en transformant les surfaces à ses fins, Andreas Mahl est à la lettre un chineur et un plasticien. A Londres où le portrait qu’il fait de Jacques Henri Lartigue est à l’origine d’une longue amitié, le jeune photographe commence par visiter le monde trouble et charmant de l’enfance. Mais il s’écarte bientôt de la fibre humaniste pour des saynètes surréalistes dans lesquelles, jumeaux et jumelles fabriqués taquinent la logique avant de rendre, dans une courte période kitsch, leurs fausses couleurs à la statuaire romantique
du cimetière parisien du Père-Lachaise. Vite abandonnée, l’imagerie funéraire lègue ce qui fera le centre de l’oeuvre, les corps et les fleurs. Photographiés avec la complicité magique du Polaroid, petite pièce unique et instantanée, les visages, les torses d’athlètes, les roses, les tulipes et les arums célèbreront ensemble la beauté de la vie, enluminée par l’altération d’une surface travaillée dans ses profondeurs chromatiques quand elle n’est pas simplement arrachée pour se poser plissée, sur un support vierge.
Les portraits de jumeaux cette fois vrais, réalisés au format géant de de la grande chambre Polaroid, portent le réponse de la maturité à ces inventions iconoclastes qui, au passage, ne se privent pas de se jouer de poupées anciennes. Le temps qui, de l’épanouissement à la mélancolie, reprend ce qu’il donne, Andreas Mahl le retrouve encore sur l’île grecque de Symi. Peints par les hommes, fanés par le soleil du Dodécanèse et par les pluies d’hiver, les murs polychromes offrent le matériau que l’artiste, sacrifiant à la magie numérique, saura rendre une fois de plus méconnaissable, à la différence des autoportraits dont, à raison d’une fois l’an, l’artiste balise le cours de l’existence sur le dialogue intime du narcissisme et de la facétie.»
Hervé Le Goff