Musée Nicéphore Niépce 28, Quai des Messageries 71100 Chalon sur Saône France
Cette approche lui ouvre les portes du photojournalisme qui, au cours des années trente, entre dans la modernité. À partir de 1932, Gotthard Schuh fait partie de l’équipe de photoreporter du Zürcher Illustrierte, avec des photographes comme Hans Staub et Paul Senn. Il sillonne toute l’Europe, et ses récits en images couvrent autant les sujets politiques que sociaux, culturels ou sportifs. Parallèlement aux reportages de commande, Gotthard Schuh réalise des images prenant de la distance avec les tendances avant-gardistes. Il développe un vocabulaire visuel personnel et sensuel. Paris la nuit l’inspire particulièrement. Il affectionne les scènes de rue, toujours à la recherche d’une ambiance, d’une expression émotionnelle. « Certaines images possèdent un fort attrait visuel, mais peuvent-elles réellement rivaliser avec l’attrait de l’humain ? » — cette phrase de Gotthard Schuh résume à elle seule sa posture photographique. En 1941, Gotthard Schuh se retire de la vie frénétique de photoreporter, devient le premier rédacteur photo du Neue Zürcher Zeitung et crée le supplément
« Das Wochenende ». Il déniche de jeunes talents, présente les travaux de photographes à la réputation internationale et continue également à publier ses propres reportages. Sa création photographique alimente en particulier toute une série de livres photographiques. Le plus célèbre, et avec treize éditions celui qui a connu le plus de succès, est publié en 1941 sous le titre Inseln der Götter (publié en français sous le titre Îles des Dieux ). Gotthard Schuh y présente les images ramenées d’un long voyage de onze mois à Singapour, Sumatra et Bali, entamé peu de temps avant le début de la guerre. Ce qui à première vue ressemble à une simple fuite, se dévoile finalement comme un mélange réussi entre reportage et introspection, un voyage dans son monde intérieur, ce qu’atteste le texte très personnel qu’il rédige en accompagnement : « Ce premier voyage à travers le déluge de lumière de l’Océan indien engloutit peu à peu ma conscience de la réalité. Alors que le sentiment de sécurité que m’offrait mon pays m’abandonne, rien de neuf ne parvient à le remplacer. L’excitation que ce voyage me procure ne parvient à chasser ce sentiment de vide intérieur… » Avec ces images d’Asie lumineuses et emplies de désir, Gotthard Schuh se façonne un monde parallèle lors d’une profonde crise personnelle.
Gotthard Schuh privilégie souvent la teneur poétique de ses photographies à leur authenticité documentaire. Il utilise régulièrement son appareil pour exprimer ses fantasmes et sentiments. En 1950, Gotthard Schuh et les photographes Paul Senn, Walter Läubli, Werner Bischof et Jakob Tuggener créent le « Kollegium Schweizerischer Photographen ». Ce groupement réunissant les grands noms de la photographie suisse (que rejoindront plus tard René Groebli, Robert Frank, Kurt Blum et Christian Staub) défend une photographie qui replace la signature de l’auteur et le geste artistique au centre de la démarche. Gotthard Schuh s’y distingue par des images
où les frontières entre rêve et réalité se dissolvent, d’après un texte de Peter Pfrunder