Musée royal de l’Armée et d’Histoire militaire Parc du Cinquantenaire, 3 1000 Bruxelles Belgique
Les animaux dans la Grande Guerre 1914‐1918
Qui se souvient que Bella et Bertha, deux vaches trouvées dans une ferme désertée du front belge, furent adoptées comme mascotte du 2e bataillon des Scots Guards et qu’à ce titre elles accompagnèrent le régiment au défilé de la victoire à Londres en 1919 ? Qui connaît Nancy, le springbok mascotte du 4e régiment d’infanterie sudafricain, fut enterrée avec les honneurs militaires dans le cimetière d’Hermeton‐sur‐ Meuse en Belgique en novembre 1918 ? Qui sait encore aujourd’hui que Winnie the Pooh, avant d’être une figure majeure des productions Walt Disney, fut la mascotte de la 2e brigade d’infanterie canadienne ? En route vers le front, le lieutenant Harry Colebourn de cette brigade acheta un ourson. Il lui donna le nom de la ville dont il était originaire : Winnipeg, très vite transformé en diminutif Winnie. Au moment de rejoindre le front occidental, il dut s’en séparer et le laissa au zoo de Londres. Il y devint la star des animaux et inspira les fabuleuses histoires pour enfants écrites par Alan Alexander Milne et reprises en 1966 par Disney. Pas mal d’animaux « vedettes » donc, dans cette Première Guerre mondiale, mais n’oublions pas pour autant tous les animaux restés anonymes…
Raconter, au travers de l’histoire des animaux, la guerre des hommes, celle des combattants comme celle des civils, voilà le concept de Chienne de guerre !
Lorsque le conflit éclate en 1914, l'animal occupe une place importante dans la société européenne. Il est à la fois une ressource et une force de travail. Dès le début des hostilités, l’animal, à l’instar de l’homme, est mobilisé. Alors qu’il est tellement présent – même indispensable – lors de la guerre, l’animal perd sa place de choix à l'issue du conflit. La Première Guerre mondiale apparaît ainsi comme une période charnière dans l'histoire des rapports entre hommes et animaux. Consacrer une exposition aux animaux dans la Grande Guerre, c'est donc désigner un moment de basculement. Mais c'est évidemment aussi montrer le conflit à travers les rapports qui unissent hommes et bêtes dans les tranchées ou les zones occupées par l'ennemi. Au même titre que les soldats, ils ont subi la violence extrême du conflit.
L’exposition raconte de ce fait, tout simplement, notre histoire. La présence massive d’animaux au sein des armées implique de nombreux métiers, du travail quotidien des vétérinaires et des maréchaux‐ferrants à celui plus insoupçonné d’artisans militaires tels que les selliers et les charrons. Alors que les uns prodiguent les soins indispensables à la bonne santé des animaux, les autres confectionnent les accessoires nécessaires à leur fonction militaire. Malgré le développement de nouvelles technologies appliquées au combat, la « première guerre moderne » mobilisa aux côtés des hommes un nombre considérable d’animaux. Les chevaux servent de monture à la cavalerie et tractent les lourdes pièces d’artillerie sur un terrain boueux et accidenté à travers lequel les automobiles ne passent pas. Très polyvalents, les chiens militaires tirent les mitrailleuses, signalent l’approche des troupes ennemies, apportent vers l’arrière
des informations sur le déroulement des opérations ou repèrent les blessés sur le champ de bataille. Quand les lignes télégraphiques et téléphoniques sont hors d’usage, les pigeons prennent le relais pour la transmission des messages. Plus surprenant, les canaris préviennent de la présence de gaz combustible lors du creusement des mines de sape et les grillons, lorsqu’ils arrêtent de chanter, annoncent les attaques au gaz asphyxiant.
Outre ces aspects utilitaires, les animaux sont de fidèles compagnons qui permettent aux soldats de tenir, de s’accrocher à la vie. Certains deviennent la mascotte d’un bataillon ou d’un régiment à laquelle tous prêtent une attention
particulière car elle les protège de la mauvaise fortune. L’animal est également utile comme moyen de subsistance, tant alimentaire que vestimentaire. Parallèlement, les conditions de vie sur le front provoquent la prolifération de bêtes nuisibles (rats, poux, puces, mouches, moustiques) qui minent le moral du soldat. Les civils sont, eux aussi, tributaires des animaux. En Belgique occupée, les réquisitions entraînent de graves conséquences sur l’agriculture et l’élevage.
La pénurie des produits d’origine animale oblige les Belges à adapter leur menu et à user d’ersatz alimentaires. Les familles sont donc contraintes à user de produits de substitution et à préparer des « recettes de guerre », parfois les plus invraisemblables, proposées dans les livres de cuisine publiés sous l’occupation. Les problèmes d’approvisionnement en matières premières telles que la laine et le cuir touchent le secteur de l’habillement. Les gens dépensent la majorité de leurs revenus à survivre et ne peuvent plus se permettre d’acheter de nouveaux vêtements. S’habiller et se chausser réclament subterfuges et ingéniosité. Les tentures sont recyclées en robes, les couvertures en manteaux et les nappes en draps et en langes, tandis que les chaussures se voient dotées de semelles flexibles et de talons en bois. Et beaucoup se voient contraints de rembourrer leurs matelas avec de la paille, du foin ou de vieux papiers coupés en morceaux, faute de laine.
À l’instar de nombreux soldats qui publient leurs journaux de guerre, les aventures de divers animaux soldats paraissent pendant et après le conflit. L’animal est très présent dans la littérature de guerre. Dès 1916, Benjamin Rabier imagine le personnage de Flambeau, un chien de ferme qui devient combattant, pour raconter aux enfants la guerre des tranchées. En même temps, Walter A. Dyer crée Pierrot, chien de Belgique dont les bénéfices de la vente sont destinés à la Commission for Relief in Belgium. En 1917, Pierre Chaine écrit Les mémoires d’un rat dans lequel il retrace le parcours sur le front du rat Ferdinand, tandis qu’en 1922, Jacques d’Ars relate les souvenirs de campagne du chien Fanfan. Si ces récits décrivent avec véracité le quotidien des soldats, ils montrent aussi l’appui et le réconfort moral que les animaux ont prodigué aux hommes. Mais, ces histoires de bêtes humanisées sont avant tout un moyen, par un récit détourné et plus léger de la Grande Guerre, de mobiliser la nation.
Enfin, l’animal occupe une place prépondérante dans l’histoire des représentations, tant dans les oeuvres et les objets artisanaux des soldats, que dans la propagande de guerre. Pour cette dernière, l’animalisation de l’ennemi consiste à utiliser l’univers symbolique des animaux pour représenter les acteurs de la guerre. Généralement, l’animal reprend les emblèmes patriotiques pour désigner une identité nationale : l’aigle allemand, le coq français, le léopard anglais, le lion belge. Parfois, il est choisi selon ses caractéristiques physiques et comportementales pour décrire la nature d’un personnage ou d’une nation. Il caractérise souvent l’adversaire de façon négative et dévalorisante : présenter l’Allemand sous les traits d’un cochon, c’est dénoncer sa bestialité, sa voracité. Présentes sur les affiches, dans les caricatures de presse et sur les objets du quotidien, ces images animales sont compréhensibles de tous. Toujours partisanes, elles ridiculisent et déshumanisent l’ennemi et, par là, tentent de justifier la guerre et d’encourager la culture de la haine.
Nombre de monuments commémoratifs, érigés dans l’immédiat après‐guerre, témoignent de la présence des animaux dans le conflit. Certains illustrent le rôle essentiel des animaux au sein des armées. D’autres témoignent de la souffrance partagée des hommes et des animaux. Parfois, ils utilisent des symboles animaliers, soit pour livrer un message patriotique, soit pour évoquer les actions héroïques d’un régiment ou d’une division. Quelques rares monuments sont consacrés à la seule gloire d’un animal : le pigeon (Bruxelles, Charleroi, Lille, Berlin), le cheval (Melbourne), les souris et canaris « amis des sapeurs » (Edimbourg). En 2004, la Grande‐ Bretagne inaugure à Londres l’Animals in War Memorial rappelant la contribution et le sacrifice des animaux dans les conflits du 20e siècle.
Destinée à un public familial, l’exposition Chienne de Guerre ! présentera une riche sélection de pièces de collection provenant de musées nationaux et internationaux, en laissant une grande part à l’interactif pour permettre aux jeunes comme aux moins jeunes de découvrir ou redécouvrir la Première Guerre mondiale sous un angle original et parfois méconnu.