
Musée d'Ixelles 71 rue Jean Van Volsem 1050 Bruxelles Belgique
L’exposition La photographie n’est pas l’art. Collection Sylvio Perlstein, conçue par les commissaires Régis Durand et David Rosenberg et organisée par Le Musée d’Ixelles et les Musées de la Ville de Strasbourg, fait découvrir un aspect de l’importante collection de Sylvio Perlstein. La richesse de cette collection a déjà été révélée par d’autres expositions telles que celle organisée en 2006 par David Rosenberg à la Maison Rouge (Fondation Antoine de Galbert) à Paris. Cette collection d’art moderne et contemporain rassemble aussi bien des dessins que des peintures, des photographies, des sculptures, des installations, des vidéos, etc. Ce sont les photographies qui sont aujourd’hui présentées, dans une exposition qui reflète l’intérêt particulier historiquement porté par le Musée d’Ixelles à ce médium. Parmi la collection générale de Sylvio Perlstein, les photographies constituent un monde en soi et méritent en effet amplement que nous leurs consacrions une ou plusieurs expositions.
La ligne directrice qui peut être décelée à travers cette collection, concernant tant les photographies que le reste des oeuvres, est celle d’une « inquiétante étrangeté »1, qui est une des caractéristiques du surréalisme. Lorsque Perlstein évoque ses choix de collectionneur en photographie, deux ensembles distincts semblent se dégager : tout d’abord, les photographies de l’entre-deux guerres et des avant-gardes (Man Ray, Nougé, Mariën, etc.), ensuite les photographies contemporaines (Witkin, Beecroft, Goldin, Kruger etc.). Le noir et blanc domine également, ce qui donne à la collection une apparente homogénéité. Cependant, la collection de photographies est très diversifiée, notamment d’un point de vue esthétique, même si certains artistes sont plus largement représentés que d’autres. C’est le cas de Man Ray, artiste très apprécié du collectionneur, et à qui ce dernier suggère de rendre hommage en reprenant l’une de ses citations pour le titre de l’exposition, « La photographie n’est pas l’art ».
L’exposition, dès son titre, soulève des questionnements et, notamment, la question de l’autonomie du médium photographique. Il est opportun de rappeler que la photographie s’est d’abord battue pour être reconnue en tant que partie intégrante des Beaux-Arts, et, a ensuite réclamé son indépendance et sa spécificité expressive par rapport à ceux-ci. Les avant-gardes du XXe siècle ont fréquemment utilisé la photographie comme support d’un langage nouveau, notamment pour ses facilités techniques ainsi que pour son caractère moderne. Nous pensons par exemple aux dadaïstes qui ont eu recours au photomontage pour témoigner de leur engagement pacifiste lors de la Première Guerre mondiale. D’autres ont trouvé en la photographie une nouvelle liberté de cadrage ou encore des possibilités de jouer avec la lumière afin de suggérer une « Nouvelle Vision ». Tous les photographes des années 20-30, dont beaucoup apparaissent dans la collection Perlstein, ont donc participé à l’émancipation et la valorisation de la photographie qui jusque là était plutôt perçue comme un outil technique capable de rendre compte de la réalité et non pas d’une vision subjective et artistique. Les surréalistes, séduits par la richesse des avantages que représente la photographie, en sont un exemple phare, ayant contribué à faire d’elle l’image moderne
par excellence.
Mais si, pour Man Ray, « la photographie n’est pas l’art » car « l’art n’est pas la photographie », c’est parce que la fascination pour la photographie en tant qu'oeuvre d'art se dissout peu à peu dans les années 1930. Man Ray cherche alors à mettre en exergue la spécificité de l’image photographique en tant qu’objet visuel.
Pour l’exposition, les deux commissaires Régis Durand et David Rosenberg ont choisi de ne pas suivre une structure chronologique ni historique, mais de répartir les oeuvres dans six sections thématiques : « Corps », « Objets », « Espaces », « Scènes », « Masques et visages », « Lettres et mots », qui invitent à la création de relations originales entre des périodes et des artistes différents, qui poussent à de nouvelles comparaisons. L’exposition n’essaie pas de reproduire l’espace privé de chaque photographie mais bien de présenter un ensemble d’oeuvres qui dialoguent entre elles et qui se rejoignent par un fil conducteur. Autour du noyau central, on peut en effet voir se développer six
lignes de force. Ces lignes pourraient bien entendu encore être étendues et affinées mais celles-ci sont les plus représentatives. Certaines (« Corps » et « Objets », par exemple) sont récurrentes dans la photographie de l’entre deux-guerres. D’autres, sans pour autant être propres à la seule collection Sylvio Perlstein, y occupent une place particulière et méritent donc d’être prises en compte. C’est le cas des masques et des visages, des espaces, des mots, et de ce que nous avons appelé « Scènes », c’est-à-dire une situation qui semble dans l’attente d’un événement ou de l’amorce d’un récit. Ces catégories ne sont pas de simples découpages iconographiques, elles ne sont pas non plus étanches et s’interpénètrent donc sans cesse. C’est la récurrence de certains motifs à travers différentes époques et styles qui va progressivement constituer ces catégories que s’approprie ensuite l’histoire de la photographie.
Certaines des photographies de la collection sont parfaitement autonomes et d’autres dialoguent plus particulièrement avec les autres oeuvres (sculptures, peintures, vidéos et objets) de cette même collection. Pour illustrer ce fait, nous avons choisi d’exposer quelques-uns de ces objets, aux côtés de certaines photographies, dans le but de révéler des liens pertinents qui pourraient passer inaperçus. Cette piste pourrait par ailleurs être développée plus en profondeur lors d’un autre événement culturel. La présentation des oeuvres de l’exposition tente de créer un sentiment d’énergie explosive de l’ensemble, mais aussi de susciter le repos de l’oeil sur chaque image individuelle.