Maison Européenne de la Photographie 5, 7 Rue de Fourcy 75004 Paris France
L’exposition se divise en trois parties :
- Les chasseurs du Mali, les descendants de l’empire démocratique de Soundjata Keïta
- Frédéric Bruly Bouabré, l’inventeur d’écriture
- L’Afrique à poings nus, des boxeurs du Kenya et lutteurs du Sénégal
Les chasseurs du Mali
Couverts d’amulettes et de talismans, armés de fusils conservés d’outre temps, ils sont la mémoire intacte du moyen âge africain.
Descendants des corps d’élite de l’empire du Mali, ils portent les mêmes tenues et obéissent aux mêmes lois que les cavaliers et soldats du roi Soundjata Keïta (1190-1255).
Les chasseurs ignorent les frontières nées de la colonisation et vivent sur la presque totalité de l’Afrique de l’Ouest, sur les actuels Mali, Sénégal, Gambie Guinée, Guinée Bissau, Mauritanie et sur une partie de la Côte d’Ivoire.
Ils ignorent les régimes de coercition et suivent le code démocratique oral de l’empire de Keïta, qui s’étendait du Sahara jusqu’à la forêt équatoriale, de l’Océan Atlantique à la Boucle du Niger.
Le règne de Keïta fut une époque de paix et de prospérité, durant laquelle coexistèrent l’islam et l’animisme, durant laquelle les pratiques esclavagistes furent abolies.
Après des siècles de guerres tribales et de traites humaines, Keïta rassembla les armées des petits royaumes et supplanta les troupes de son rival Soumaoro Kanté en 1235. Il fonda sa capitale à Niani, en Guinée, près de la frontière malienne.
L’empire du Mali a instauré une société anti-esclavagiste régie par des règles égalitaires. Cette organisation politique a pu préfigurer les constitutions démocratiques plus tardives de l’Occident blanc.
Les chasseurs forment une confrérie de type maçonnique où les hommes sont recrutés par cooptation, sans considération de naissance, d’origine ou de classe.
Vivants et légendaires à la fois, ils sont l’autorité villageoise, les dépositaires de la justice, de la tradition orale poétique et généalogique, les maîtres des savoirs thérapeutiques, cynégétiques et magiques.
Face à la corruption et au chaos générés par le néo-colonialisme, face à l’oubli programmatique instillé par la mondialisation libérale, la puissance souterraine et transnationale des chasseurs traditionnels constitue l’un des socles spirituels de l’Afrique, une active utopie.
Philippe Bordas
Frédéric Bruly Bouabré
Un enfant pauvre de la forêt primaire de Daloa, au coeur de la Côte d’Ivoire, fuit le travail forcé imposé par les colons.
Il s’inscrit en fraude dans l’école des Blancs, en autodidacte brillant, et tombe sous le charme des écrivains et poètes d’Occident.
Sur ce continent noir privé d’alphabet et soumis à l’oralité, Frédéric Bruly Bouabré est touché par une révélation divine. Mission lui est confiée d’inventer une écriture authentique d’Afrique et sauver sa culture de l’oubli.
Bruly Bouabré invente une écriture noire, en s’inspirant du dessin des pierres volcaniques sacrées de sa région natale.
Il invente des pictogrammes et développe un système syllabique cohérent salué dès sa création par le savant Théodore Monod.
Bruly Bouabré construit une oeuvre encyclopédique prodigieuse, mêlant contes, légendes et dessins, qu’il consigne sur des cahiers d’écolier ou sur le dos de petits cartons dérisoires, au format d’un jeu de tarot, qui ne sont rien de plus que les supports d’emballage des fausses mèches (de marque Darling) récupérées dans les poubelles des coiffeuses d’Abidjan.
Bruly Bouabré est aujourd’hui le plus grand artiste africain vivant. Ses oeuvres sont exposées dans le monde entier.
L’oeuvre de Bruly Bouabré est un art poétique, le manifeste des déshérités dont la seule politique est le génie verbal et la frappe des noms.
Philippe Bordas
L’Afrique à poings nus
Il n’est pas question de sport.
Il n’y a pas de vainqueur.
Il n’y a pas de vaincu.
Il n’est question que du rituel des hommes désignés à combattre.
Dans ces no man’s land anéantis par la mondialisation, torréfiés par le FMI, survivent les hommes sans terre. Par les protocoles violents de la boxe et de la lutte à poings nus, ces hommes deviennent les héros.
À l’extrême est du continent noir : Nairobi, le Kenya.
À l’extrême ouest : Dakar, le Sénégal.
D’un côté la boxe anglaise.
Cinquante boxeurs reclus dans une salle de catéchisme, au coeur du bidonville géant de Mathare Valley. Des corps en sueur dans une salle volontairement privée d’oxygène. Des écorchés fondus sous un néon défunt, électrisés par le fantôme de Mohammed Ali, des esprits brûlés par les hautes ascèses du monde blanc que sont la boxe et la mystique chrétienne.
De l’autre côté, la lutte sénégalaise.
Des corps pleins, reposés. Un affrontement à ciel ouvert dans les arènes de sable du Sénégal. Une joute rituelle au coeur des villes et des villages. Un duel socialisé, musical, vierge d’influence blanche. Des lutteurs enracinés dans leur terre et ne rêvant d’aucune Amérique. Des lutteurs sevrés des paroles magiques des marabouts et du chant des tambours, protégés du monde par le choeur des femmes et les poèmes guerriers nés aux racines du terroir.
D’un côté de l’Afrique, la boxe en cellule.
Le combat comme vertige, autodestruction. Le combat contre soi.
De l’autre côté, la lutte à ciel ouvert.
Le combat comme déploiement poétique et lien aux forces invisibles.
Philippe Bordas