Centre Méditerranéen de la Photographie Cité Comte-résidence Pietramarina
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Valérie Belin : “Le baroque en Corse” . Commande Régionale 2004
À l'occasion de la commande régionale 2004, Valérie Belin s'est replongée dans l'univers baroque de son travail des années 1990. C'est à travers un choix d'églises, riches dans le jeu illusionniste entre architecture et décors peints qu'elle a cherché à extraire “ l'essence du baroque”. Le regard qu'elle a porté dans ces lieux renvoie à la peinture grâce à l'écrasement des plans et au jeu des ornements, sublimés par le noir et blanc.
Les églises baroques de Corse, de Michel-Edouard Nigaglioni
L'esthétique du Baroque correspond à l'essence même des corses. C'est ce qui explique qu'ils l'ont aimée passionnément, ils l'ont adoptée très tôt et ils l'ont fait perdurer très tard. De nos jours encore, ils continuent à avoir une vive inclination pour ce style qui leur ressemble tant. Les corses sont des méditerranéens, ils sont passionnés, fougueux, fiers et orgueilleux. Ils ne pouvaient que se reconnaître dans un art dont les caractéristiques premières sont la théâtralité, le mouvement et l'ostentation.
Les corses des XVIIe et XVIIIe siècles sont profondément croyants, ils vivent une foi ardente et démonstrative. Le style baroque qu'ils laissent s'exprimer dans leurs églises leur permet d'extérioriser toute l'intensité de leur spiritualité. Cet art exubérant et imposant correspond très exactement à la conception qu'ils se font de la religion. Chez les insulaires, ce lien indissoluble qui associe immédiatement « religion » et « art baroque » trahit des racines culturelles profondément plantées dans le continent italien. Sur le continent français, c'est l'art gothique qui dans l'inconscient collectif est mentalement associé au concept de sacré.
La politique de l'Eglise catholique après le Concile de Trente a suscité un renouveau de tous les arts et un fort accroissement du patrimoine artistique religieux. En Italie continentale, c'est cette effervescence qui est à l'origine de l'élaboration du style baroque dans le courant des années 1620 – 1630.
En Corse, ce nouveau style connaît un succès immédiat. Il y est introduit dès la fin des années 1620, au moment même où il commence à peine à se répandre dans certaines grandes capitales italiennes. Il y est épanoui et universel dès le début des années 1640 et il s'y impose, inchangé, jusqu'à la fin du XVIIe siècle. Il se définit par un goÛt prononcé pour les effets de volumes et de mouvements, théâtralement mis en scène. On aime alors jouer avec l'ombre et la lumière pour mettre en valeur des surfaces et des anatomies tourmentées. La ligne courbe est à l'honneur, on apprécie particulièrement les effets de perspective et de trompe l'œil. Les coloris sont vifs, riches, profonds et contrastés. Tout le génie du nouveau style réside dans sa propension à surprendre le visiteur-spectateur, à le séduire en charmant ses sens afin d'obtenir chez lui une sensation ineffable. Ainsi, l'art baroque élève l'âme par le sentiment du beau. Les vives couleurs des peintures, le scintillement des dorures, les reflets des marbres polychromes et l'éclat chaud des bois précieux prennent encore plus de magnificence à la lumière des cierges et des lustres de cristal. Lors des cérémonies, les senteurs de l'encens et le son majestueux des orgues renforcent la magie fascinante du décor.
Au XVIIIe siècle les corses suivent les modes continentales et renouvellent leur art. On passe alors du baroque pompeux au baroque gracieux. L'évolution du style est alimentée par des apports extérieurs : par la circulation de modèles romains (diffusés par la gravure) et par l'établissement de maçons, d'artistes et d'artisans provenant du Piémont, de Ligurie et de Toscane. D'un siècle à l'autre, on conserve les mêmes « recettes » mais l'art devient moins hiératique, moins solennel, pour se rapprocher de l'homme et de la nature. La palette des couleurs en vogue s'éclaircit sensiblement et arrive par paliers successifs jusqu'aux teintes pastel. Les ornements diminuent de taille, cherchent de plus en plus le raffinement, l'élégance et l'inventivité pour finir par succomber aux charmes des asymétries équilibrées. A travers les diverses évolutions et mutations que le style va rencontrer en 200 ans, on retrouve toujours un même esprit, un même moteur : la quête passionnée d'une beauté idéale.
Au XIXe siècle, le succès des modèles baroques va perdurer en Corse d'une façon étonnante. L'île va se démarquer en se complaisant voluptueusement dans la survivance des formes surannées de l'art des années 1750. Pendant de nombreuses décennies la Corse rejettera successivement et totalement, les diverses évolutions des styles européens. Les différents styles néoclassiques, apparus peu avant le règne de Louis XVI et qui se succèdent jusqu'à la fin du 1er Empire, n'ont pratiquement aucun écho dans l'île. Les corses d'alors n'apprécient que l'art débordant de fantaisie et de charme, inspiré par le Barocchetto génois. Même le règne de Napoléon 1er ne parvient pas à introduire une impulsion nouvelle, susceptible de renouveler l'esthétique en faveur dans l'île. Cela semble paradoxal, mais les faits sont là : pendant que le plus célèbre des corses appliquait une empreinte indélébile sur l'histoire et sur l'art de l'Europe entière, sa région d'origine tournait le dos délibérément à toute modernité artistique.
Il faudra attendre le style éclectique de la seconde moitié du XIXe siècle pour voir se répandre dans l'île, bien tardivement, les formes épurées du néoclassicisme. Mais si le style éclectique obtient les faveurs du public corse c'est certainement parce qu'il cède lui-même à la nostalgie envoÛtante du Baroque et qu'il lui emprunte ponctuellement son répertoire décoratif.
De nos jours, il nous reste un formidable héritage, cher au cœur des insulaires. Les églises de Corse sont des palais sacrés où tous les arts se mêlent harmonieusement. Deux ou trois siècles d'artistes y ont laissé leurs empreintes. Peintres, sculpteurs, stucateurs, doreurs, marbriers, ébénistes, par des apports successifs et complémentaires, ont contribué à créer des décors admirables et uniques. Ces édifices sont les témoins d'un âge d'or, d'une époque où le souffle puissant du Baroque parcourait l'île d'un bout à l'autre pour y régner en maître quasi absolu.
Michel-Edouard Nigaglioni
Historien de l'art
Chargé d'études auprès de la Direction du Patrimoine de Bastia
Conservateur Délégué des Antiquités et Objets d'Art du Département de la Haute-Corse
Jusqu'au 13 juillet 2005 au Centre Culturel Una Volta de Bastia (04 95 32 12 81 et 04 95 31 56 08).
Centre Culturel Una Volta - Arcades du théatre
Rue César Campinchi
20200 Bastia
Tél : 04 95 32 12 81 et 04 95 31 56 08
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© Valérie Belin