La médiathèque intercommunale Haute-Corrèze 24, avenue Carnot Ussel
Au regard des collections conservées aux Archives départementales, le document photographique est une source récente. Découverte en 1827, la photographie connaît des progrès techniques très rapides. Le daguerréotype, mis au point en 1839, fixe l'image sur une plaque de cuivre argenté, et rapidement, le calotype de Talbot, en 1841, permet la réalisation des tirages multiples à partir d'un même cliché. Le potentiel de la photographie dans le domaine documentaire apparaît alors évident. Ainsi, dans un département rural tel que la Corrèze, les plus anciens clichés des collections iconographiques départementales, réalisés avant 1880, ont pour sujets des vues d'architecture ou d'églises comme celles de Médéric Mieusement, photographe attaché à la Commission des Monuments historiques.
De documentaire, la photographie s'attache rapidement au domaine de l'intime.
Fixer l'image, arrêter le temps. Cette démarche s'adresse tout particulièrement à la photographie de portrait. Mais pour contrarier l'inéluctable, franchir le seuil d'un studio photographique n'est pas chose ordinaire dans la première moitié du siècle dernier. Il s'agit de se plier à une exigence administrative ou de laisser aux générations futures une trace de son existence. Dans tous les cas, l'événement se prépare, la tenue est soignée et la pose difficilement naturelle. Elles ne pensaient pas, ces femmes, clientes du Studio Photo-Éclair du quai Baluze, que leur portrait allait dépasser le cadre familial.
La société actuelle est saturée d'images. Diffusées de toutes parts, ces dernières ont à peine le temps de s'imprimer sur notre rétine. Quel sens leur donnons-nous ? Prenons-nous seulement le temps de leur en donner un ?
L'exposition propose au visiteur de prendre le temps. Le temps d'une rencontre avec ces inconnues, le temps de comprendre ces vies disparues. C'est à cet exercice, ce jeu presque, que se sont prêtés avec plaisir des auteurs profondément liés à la Corrèze, dévoilant pour nous l'écho que renvoyait en eux la vision de ces portraits.
Dans cet échange triangulaire fait d'allers et retours entre le portrait, le visiteur et le texte, les mots s'insinuent comme une voix intérieure, tracent des pistes, inventent des passés.
Certains auteurs ont choisi de donner la parole à ces femmes, d'autres évoquent la démarche photographique ou la profonde transformation de la condition féminine dans un siècle secoué d'événements sanglants et de bouleversements techniques, tous livrent une part d'eux-mêmes, et au-delà de la corrézienne, font référence à la Femme. Qu'ils en soient remerciés.
François Hollande
Député de la Corrèze
Président du Conseil général
Exposition des Archives départementales de la Corrèze
Dans le studio Photo-Eclair d'Henri Janicot,
Inconnues corréziennes, résonances d'écrivains
Les Archives départementales de la Corrèze proposent pour l'automne prochaine une exposition à partir du fonds d'un photographe tulliste, Henri Janicot, conservé aux archives.
Henri Janicot a exercé à Tulle, quai Baluze, au Studio "Photo Eclair" de 1933 à 1971, succédant à M. Théo Boudet.
Ce fonds photographique, voué à la destruction, est entré aux Archives départementales le 12 mai 1992, par une opération de sauvetage menée par le personnel. Il a fait l'objet d'un classement sommaire et présente essentiellement des portraits, pour la plupart en studio.
L'exposition présente exclusivement des portraits anonymes de femmes.
Des auteurs corréziens, ou ayant des attaches corréziennes, ont été contactés pour apporter leur contribution à ce projet : ils ont choisi un ou deux clichés du fonds et en ont fait un commentaire. Les différentes personnalités et sensibilités réunies dans cet ouvrage collectif donnent à l'ensemble une originalité indéniable.
Les auteurs participants et extraits de leurs textes :
Pierre Bergounioux : Mère et fille ?
"Nous ne savons à peu près rien de nos vies antérieures. Les traces précises, durables, magnifiques, parfois, qui restent des mondes abolis supposent qu'un corps de professionnels, de lettrés, d'artistes, porte sur le papier ou sur la toile, les travaux et les jours de leurs habitants, coule dans le bronze ou grave dans le marbre leurs gestes et leurs visages, leurs exploits".
Gilbert Bordes : Monument de femmes
" Je vous connais. Je vous ai vue marcher dans les chemins creux, derrière votre troupeau de moutons, bêcher votre potager, donner du grain aux poules. La peau tannée, des épaules solides, un corps fait pour les tâches les plus difficiles, sous le soleil de juillet quand le foin coupé du matin devait être fané avant midi, quand il fallait faire la course à l’orage et que les gerbes risquaient de se gâter".
Daniel Borzeix : Mon "mari"
" Pourquoi avoir tenu à me faire photographier avec mon chien ? Ce portrait trône dorénavant dans mon salon, comme il le fut tout d'abord, quand il fut encadré, dans celui que j'occupais alors rue de la Barrière. Chaque jour, je la vois, souvent la contemple et il me rappelle à lui seul une bonne partie de ma vie".
Jean-Marie Borzeix : Mélanie
"Ce que j’aime dans ce cliché, c’est l’échec du photographe dans son atelier de taxidermie symbolique : pour une fois, il ne dompte ni ne tue la vie en prétendant la perpétuer. Celle-ci lui échappe, jaillit malgré tout, prend sa revanche".
Jean-Paul Chavent : Silence du temps
"Je vous regarde comme l’autre de moi-même, et dans ce vis-à-vis calme et lent où je me constitue un "je" troublé, vaguement désirant, nous célébrons ensemble, par delà le temps et le silence, quelque victoire sur Cronos, le dieu cannibale".
François Cognéras : À partir d'un certain âge…
"Un visage plein et beau, en harmonie avec un corps solide et bien droit. Le regard est doux, sérieux, assez fier, un peu lointain, un peu distant, un peu détaché peut-être. Il toise à coup sûr les premières vicissitudes d'une existence qui en manque jamais longtemps".
Henri Cueco : Écrire à propos d'une photo
"Maria tuait ses lapins d'un coup de masse qu'elle appelait "barangou", en les tenant par les oreilles. Les lapins n'aimaient pas la posture et agitaient leurs pattes. Maria disait alors "la salle bête, il vous ferait mal" et elle lui donnait un coup fatal".
Claude Duneton : Marcelle et Ernestine
" C'est la première photo de la tante Ernestine seule. Jusque-là il n'existait que sa silhouette dans des groupes ; c'est pour ça que sa nièce avait insisté pour qu'elle soit "tirée à part". Comme Ernestine ne savait pas quoi faire de ses mains, elle a tenu son sac devant elle ; ça l'offrait toute entière à l'œil de l'objectif".
Marie-Claude Gay : Le bonheur du jour
"Mai 1950 - Aujourd’hui, j’ai 25 ans. Depuis mon mariage, il y a sept ans de cela, je me sens inutile. Je me rends compte que dans notre société, la femme n’a pas d’identité, elle n’existe que pour enfanter et s’adonner aux travaux ménagers".
Marie-France Houdart : La tresseuse de paille
"Elle faisait de la tresse avec sa paille, eh bien oui. Ici, on avait toujours fait la tresse, du plus loin qu’elle s’en souvienne, sa mère la faisait, sa grand-mère avant elle, et son arrière-grande encore bien avant. À la veillée, en gardant les vaches…".
Jean-Paul Malaval : Rendez-vous avec mon photographe
" Montrer son visage, son corps, ou du moins les parties avantageuses, en un mot se livrer au regard des autres, s'abandonner même, reste une manière de sortir de la foule anonyme lorsqu'on ne possède, pour se singulariser, que son apparence".
Richard Millet : Une Sulamite
"Plus qu’un portrait, c’est une mise en scène, le photographe dépassant là le cadre de l’objectif identitaire pour saisir tout autre chose : un mystère: celui d’une femme dont la pose n’est entièrement le fruit d’une convention photographique mais d’une ferveur à quoi contribuent le plein air…mais aussi la nudité du cou et des mains".
Michel Peyramaure : Conditionnel passé
"Encore enfant, vêtue de ta robelette d'écolière qui sentait le lait chaud du goûter, tu serais allée vadrouiller jusqu'au château, dans l'espoir de rencontrer, sur le chemin des bois un jeune et beau chevalier qui t'aurait prise en croupe".
Caroline Sers : Dialogue
"- Et pourquoi ne partirais-je pas ?
- Qui donc va tenir la maison quand je n'y serai plus ? Qui donc saura quand il convient de cueillir les simples pour préparer les remèdes ? Qui encore s'occupera des cordons de la bourse pour le père et les frères ?"
Llibert Tarrago : Mains de femmes
"Natif de "la petite Espagne" de Brive formée par les anciens de la Guerre Civile, l’idée de l’existence même d’une femme authentiquement corrézienne est née vers mes vingt ans, à proximité d’un four à pain tombé en désuétude, sur un chemin en direction du ruisseau où les écrevisses avançaient à reculons vers leur disparition..."
Denis Tillinac : D'une guerre à l'autre
"Ainsi étaient nos grands-mères, meurtries précocement par l'Histoire, souvent pieuses, vouées à l'effacement – et tellement dévouées. La mienne m'apprêtait des festins et piochait dans sa maigre pension pour mes régalades de Carambars".
Louis-Olivier Vitte : Partir, rester
" La sœur supérieure ne voulait pas que je garde la cornette, alors j'ai pris mon sac à main. Je me souviens qu'elle m'a regardée d'un œil noir. Mais je m'en moquais. J'ai ma médaille du Sacré-cœur et mon petit crucifix au cou".
Dates et lieux d'exposition :
- Brive (médiathèque municipale – place Charles de Gaulle) : du 20 octobre au 8 novembre 2009
- Tulle (hôtel du département Marbot) : du 10 novembre au 20 novembre 2009
- Ussel (médiathèque intercommunale - 24, avenue Carnot) : du 23 novembre au 19 décembre 2009 aux horaires d'ouverture de ces établissements