L’écrivain et cinéaste afghan, Atiq rahimi, est le commissaire invité de l’exposition d’automne de la Galerie VU’. sous le titre « djân » (corps et âme), il propose, avec la complicité des artistes de la Galerie VU’, un dialogue autour du corps, où le regard d’une sensibilité orientale rencontre celui d’artistes occidentaux. « Lorsque je me regarde dans une photo, une étrange sensation s'empare de moi. Je redeviens cet enfant. Non, pas l’enfant,
un être primitif. Celui qui découvre pour la première fois l’ombre de son corps, ou son reflet sur la surface de l’eau, bien avant la naissance du miroir…
oui, je suis cet homme sauvage qui, inquiet et émerveillé, interroge son image : « qui es-tu ? » Mais d’où surgit cette question ? De mon âme ou de mon corps ?
D’aucun ! En photo, je ne suis ni corps et âme, Ni corps ou âme, Ni le corps de l’âme, Ni l’âme du corps… Je suis djân. Ce mot n’est pas un triste trope mais une joyeuse lexie de la langue persane. il défie la dichotomie corps/ âme. il en est l’unique expression. si l’art est ce champ d’éternel conflit intime de l’homme, où il cherche à se définir en terme du corps et/ou de l’esprit, la photographie est l’unique expression de la parfaite symbiose entre la mise en corps de l’esprit, et la mise en esprit du corps. Elle est la révélatrice du djân. »
Atiq rahimi inspiré par les mots d’Antonin Artaud (« Du corps par le corps avec le corps depuis le corps jusqu’au corps »), Atiq rahimi propose un parcours photographique mettant en scène de nombreux photographes de la Galerie VU’.
Juan Manuel Castro prieto
isabel Muñoz
ricard Terré
Christer strömholm
Michael Ackerman
richard Dumas
Bernard Faucon
Jeffrey silverthorne
JH Engström
Marrie Bot
Maja Forsslund
Anders petersen
Léa Crespi
Denis Darzacq
Laurence Leblanc
Arja Hyytiäinen
serge picard
Atiq RAhimi, commissAiRe d’exposition
Lorsque la Galerie VU’ vous a proposé d’être le commissaire de sa prochaine exposition, comment vous est venue l’idée du « djân » ?
atiq Rahimi : Je travaillais justement à ce moment là sur l’idée du corps et de sa représentation. La question du corps m’intéresse depuis longtemps ; et Syngué Sabour (NDLR, son dernier livre) était déjà une réflexion là-dessus : le corps comme objet de souffrance, de sacrifice, d’échange puis sujet de révélation. La femme se donne une identité en découvrant et révélant son propre corps. « Djân » est un mot de la langue persane qui signifie à la fois le corps et l’esprit. À l’inverse de l’Occident et de l’esprit dualiste platonicien et cartésien, la culture persane, héritière de la pensée préislamique (notamment zoroastrienne et bouddhiste) ne peut dissocier le corps de l’âme pour désigner l’être. Les grands poètes mystiques l’ont beaucoup utilisé dans leurs poèmes, jouant de ce double sens. Dans l’état actuel de mes recherches, je peux affirmer que le mot « djân » dans la philosophie orientale s’attache à cet « intermonde » où vivent en état symbiotique les deux mondes, sensible et intelligible, visible et invisible… C’est peut-être une interprétation très personnelle. Tant mieux ! Au-delà du corps lui-même, la question de sa représentation est également très importante pour moi, en particulier dans la peinture et la photographie. Ces deux arts, dès leur origine, bien que très distancés dans le temps, ont pris le corps comme sujet. Lorsqu’on se réfère à l’histoire de la photographie, on a l’impression qu’elle n’est inventée que pour la mise en image du corps dans l’esprit et la mise en image de l’esprit dans le corps…
Elle crée une fusion que l’on ne retrouve pas ailleurs. C’est pourccela que je dis qu’elle révèle le « djân ». Cette exposition est un hommage à cet art de révélation. Comment s’est construite l’exposition ?
atiq Rahimi : Je suis parti d’un poème d’Antonin Artaud que j’aime beaucoup : « Du corps par le corps avec le corps depuis le corps et jusqu’au corps ». Ayant choisi de décrire, de raconter le « djân » avec des photographies, j’ai utilisé ces dernières comme j’aurais utilisé des mots pour raconter une histoire à quelqu’un. J’ai voulu créer une ligne narrative, avec un début, un milieu et une fin. La Galerie m’a montré de nombreuses photographies de ses artistes pouvant trouver une place dans l’histoire et nous avons imaginé un itinéraire, ou plutôt une sorte d’invitation à un voyage, avec des images qui se répondent entre elles. Un voyage qui se termine par un grand miroir où le visiteur voit à son tour son propre corps, mais fugitif. Et devient tout à la fois regardant et regardé... La photographie a également cela de particulier qu’elle ne triche pas avec le « djân » : celui qui photographie doit être là corps et âme forcément réunis. Son corps charnel est face à ce qu’il photographie. Vos expériences de photographe et réalisateur ont-elle joué dans
vos choix? atiq Rahimi : Alors même que je suis obsédé par le corps, la photographie et l’écriture, je n’ai pas photographié des corps. En faisant le choix des images, je ne me suis jamais mis dans la peau d’un photographe mais dans celle de celui qui allait regarder ces photographies. L’exposition est conçue comme un poème où chaque photo est un vers à « lire », à méditer.
Propos recueillis par Caroline Collard
Atiq RAhimi à pARis photo, stAnd de lA gAleRie vu’ À Paris Photo (du 19 au 22 novembre 2009 - stand B41), La Galerie VU’ présentera les tirages vintage du livre Le Retour imaginaire d’Atiq Rahimi, exposés pour la première fois. Quand il est revenu à Kaboul pour la première fois depuis près de vingt ans, après la chute du régime des Talibans, Atiq Rahimi a découvert une ville et un pays détruits par la guerre. Il les a photographiés, il les a écrits. Le Retour imaginaire est le livre qu’il a fait avec ces images et avec ce texte. C’est une réflexion sur l’exil, et sur le retour. Les photos, une cinquantaine, ont été sciemment prises avec un vieil appareil à trépied, une boîte en bois, utilisé pour les photos d’identité et en principe pas adapté à des plans larges ou éloignés.
Ainsi ces clichés en noir et blanc de rues, de personnages, de perspectives, de situations sont-ils comme nimbés d’une imprécision douloureuse, et pour cette raison, précisément, ils rendent extraordinairement compte de la tristesse et de la nostalgie qui s’emparent d’un voyageur en qui passé et présent se mêlent cruellement. « Mais moi ce n’est pas la beauté que je cherche. Je cherche à faire revivre le sentiment que l’homme éprouve en regardant une cicatrice. Chaque fois que nous regardons une cicatrice nous ne pouvons nous empêcher d’en repenser la douleur. » La représentation du corps ou le corps comme origine de l’art Le voyage commence avec une photographie du tableau « L’origine du monde » de Courbet par Juan Manuel Castro Prieto. Cette photo est une mise en abyme. Elle n’est pas la reproduction du tableau, mais son authentification. Deux arts s’affrontent, se révèlent, se reflètent et s’interprètent. Et cela à travers la mise en image du corps. L’art ne pourrait exister sans le corps : on ne peut créer sans vision, sans sensations émanant du corps. C’est l’art d’origine ou l’origine de l’art, pourrait-on dire. Le corps comme origine de l’art. Et la photographie comme art majeur. On voit bien que le flou créé autour du cadre du tableau attire l’attention. Par rapport à la peinture elle-même, la photographie isole, met le doigt là où il faut, transforme cet objet, le met en abyme. La photographie « déconstruit » le temps et l’espace. Elle donne du « djân » à la chose. Cette mise en scène - volontairement très visible -, réalisée avec des mannequins, crée une sorte de malaise, provoque une certaine crainte. Comment cet artifice si évident crée cette « inquiétante étrangeté » ? Peut-être parce que le photographe nous introduit dans l’entre-deux-mondes: l’artifice de la mise en scène des mannequins et l’authenticité de l’instant photographique.
À l’inverse de l’image de Bernard Faucon, cette photo de Léa Crespi nous met face à un vrai corps qui ressemble à un mannequin. Mais l’effet est le même. Tout est authentique, le corps, l’espace désaffecté… Cependant, la mise en scène chorégraphique du corps, nous remet entre deux mondes où se situe le « djân ».
Atiq Rahimi
Atiq Rahimi est né en 1962 à Kaboul (Afghanistan). Écrivain, cinéaste, photographe, il vit et travaille aujourd’hui à Paris. Francophile, Atiq Rahimi étudie au lycée franco-afghan Estiqlal de Kaboul puis à l’université, en section de littérature. En 1984, il quitte l’Afghanistan pour le Pakistan à cause de la guerre, puis demande et obtient l’asile politique en France où il passe un doctorat de communication audiovisuelle à la Sorbonne. Il réalise différents films documentaires dont : Zaher Shah, le royaume de l’exil en 2000 Afghanistan, un état impossible en 2002. Alors que les talibans ont pris le pouvoir à Kaboul, il ressent le besoin de passer à l’écriture avec Terre et cendres, évoquant le deuil et la violence qui meurtrissent son pays. Adaptée au cinéma par ses propres soins et sur les terres afghanes, cette oeuvre est présentée au festival de Cannes en 2004 où elle reçoit un accueil élogieux du public et obtient le prix « Regard sur l’avenir ». Autant investi dans la réalisation que dans l’écriture, l’auteur publie dans sa langue natale Les Mille Maisons du rêve et de la terreur en 2002,
Le retour imaginaire en 2005 puis Syngué Sabour (pierre de patience), écrit directement en français pour lequel pour lequel il reçoit le Prix Goncourt 2008.