James Hyde
Galerie Les Filles du Calvaire Bruxelles Boulevard Barthélémy 20 1000 Brussel Belgique
“Une image est-elle toujours matérielle?”, nous demande James Hyde dans un questionnaire de 1998 composé de 19 questions, visible sur son site web.
Bien sûr, beaucoup de ces questions sont en vérité signifiées (càd posées) pour rester à jamais sans réponse et leurs incessantes reformulations sont le ferment de la « recherche artistique » : Comment éviter une réponse définitive qui forcerait à y mettre un terme ?
La pratique de Hyde est (manifestement) motivée par de nombreux questionnements et, bien que la question ci-dessus ne soit pas nécessairement la dernière ou la plus importante, c’est certainement l’une de celles qui ont gagné en pertinence et en urgence au fil des années – années qui ont vu l’accélération vertigineuse de la dématérialisation de presque tout dans la sphère de l’activité humaine (aussi bien culturelle, qu’économique, politique ou simplement sociale).
Poser la question de ce qui est historiquement considéré comme immatériel, alors qu’après tout c’est vraiment matériel, est de ce fait, une question fondamentalement critique, nous rappelant le postulat basique de la matérialité et de la physicalité irréductible du monde. Tout ce qui est solide peut bien continuer à se fondre dans l’air, l’art est là pour nous mettre en garde du fait que même l’image est finalement ancrée dans la réalité irréductible des faits, et l’intérêt de longue date de Hyde pour l’exploration de la non objectualité de la peinture est profondément enracinée dans son matérialisme intuitif et littéralisé : descriptions, images, illustrations sont également des choses – comme nous-mêmes en fait. [Je résisterai à la tentation – pour l’instant – de plonger dans l’histoire des débats théologiques qui opposèrent iconoclastes et iconophiles : ils sont basés sur l’hypothèse d’une icône qui est une incarnation du divin – littéralement incarné, physique.]
Les choses (par opposition aux représentations) vivent au temps présent; notre rencontre avec elles pourrait même être articulée comme productrice du temps présent – ou du moins comme une expérience de celui-ci : le temps de la « présence ».
Par conséquent, donner le statut d’« objet » à quelque chose signifie lui restituer une sorte de présence qui nous aide à retrouver un présent illimité. C’est précisément ce qui se passe dans les œuvres de Hyde travaillées à partir de photos. Elles brisent la logique naturelle de transparence de la photographie, la base de sa prétention de vérité, en enterrant l’image photographique (comme unique source de sa prétention) sous des couches de peinture méticuleusement appliquées.
Toute la matérialité de la peinture anime la non objectualité originaire de l’image, la délivrant de la forme passée dans laquelle toute photographie, de par sa définition (en tant qu’appareil d’enregistrement de ce qui s’est passé), est enfermée.
Ce qui pourrait initialement apparaître au spectateur comme une énième variation de l’abstraction (et/ou du modernisme, aussi vrai que ces termes peuvent être intervertis) devient de ce fait un geste entier d’espoir – celui aussi qui replace la peinture abstraite à un certain degré de pertinence, et ce en dehors des institutions artistiques.
[Faire exploser l’image plane bidimensionnelle pour qu’elle devienne une présence physique palpable – une sculpture – dans l’espace est une autre manière de s’assurer un tel degré de pertinence : Cela renvoie à la notion d’application, « qui applique » l’abstraction.]
En conclusion : Hormis la matérialité de l’image, il est encore de nombreuses questions qui pourraient être soulevées par rapport au travail de James Hyde.
L’une des plus importantes, que je me réjouis de poser à chaque étape (et bien entendu, pas seulement concernant le travail de James Hyde), est la suivante : « Où est l’art ? », pas « qu’est-ce que l’art ? », pas « quand », mais « où » (les questions concernant les lieux ont été sous-estimées pendant longtemps, et pas seulement dans le domaine de l’art) : à quel point dans l’espace ( plutôt que dans le temps) l’œuvre d’art se matérialise-t-elle et apparaît-elle de manière précise ? Dans l’atelier de l’artiste ? Dans le carnet de croquis ? Dans l’esprit de l’artiste, ou plutôt dans l’espace régi par ses mains ? Dans sa rencontre avec le public ? Dans la galerie, ou dans le musée ? Quelque soit la réponse – et je ne suggère pas que nous rêvions d’en trouver une –, dans le travail de James Hyde, cette question renoue avec l’hypothèse de l’image d’une vraie forme : quand, puis surtout où la photo est-elle forcée à sortir du passé, et où la peinture quitte-t-elle le mur ?
Dieter Roelstraete
Traduction Maud Salembier