
Il y a de toute évidence quelque chose du même ordre dans ces photos de Daniel Nouraud. On sent - et cela fait pour moi le charme vif de leur belle surprise, leur nouveauté aussi - que celui qui les a faites n'était pas là d'abord dans le but principal de faire des photographies, même si c'est par ailleurs son métier. Elles n'ont pas la lourdeur inévitable des photos prises par un photographe venu dans un pays étranger pour en faire un sujet. Ne pèse pas sur elles la responsabilité de rendre compte du Chili, ni sur Nouraud celle d'endosser le rôle habituel du photographe entièrement focalisé sur sa prise d'images. L'homme qui prend ces photos est débarrassé des obligations de celui qui est quelque part dans le monde, loin de chez lui, dans l'unique but de mener à bien un projet photographique. Et cela change tout, comme pour l'écrivain qui se met tout à coup à écrire sur un coin de table de café, laissant refroidir son plat alors qu'il était venu là pour se restaurer, sans le projet de se mettre à travailler à son livre.
Pour beaucoup d'écrivains - qui l'ont raconté - rien n'est plus bloquant et intimidant que de s'asseoir à leur bureau avec préméditation, en focalisant toute leur attention sur la feuille blanche qui est devant eux, dans le seul but d'écrire. Ils appartiennent à cette catégorie d'écrivains qui ont besoin de se trouver au contraire dans un café, dans un train, sur un coin de table de leur cuisine pour se mettre à écrire à l'improviste, à la dérobée, sans que pèse sur eux la solennité de se mettre au travail en bonne et due forme, sans que le temps d'écrire ne devienne un moment ciblé, réservé à cet effet dans un emploi du temps sagement organisé dans le but unique de la création. Cela relève sans doute d'une tactique pour ruser avec la lourdeur qui menace toute écriture « installée » et pour se laisser surprendre par leur désir de création qui, comme tout désir, aime peu la programmation et la préméditation, et encore moins l'obligation de résultat.