Galerie de photographie du Carré Amelot 10 bis rue Amelot 17013 La Rochelle France
Le photographe Didier Ben Loulou a sillonné pendant plus de quinze ans la vieille ville de Jérusalem pour tenter d’en percer les mystères. Le résultat est probant. La ville livre ses secrets: une violence et une beauté rarement capturée par l’oeil humain.
Didier Ben Loulou,
La pierre et la chair de Jérusalem
Guy MANDERY,
Album public, chroniques et portraits, Editions Helio, 2008 C’est un pari fou et un défi qu’il s’est lancé: dire Jérusalem, la cité trois fois millénaire. Autant dire l’indicible, photographier l’invisible, représenter l’Esprit Saint, imager la Torah, l’Ancien Testament et le Coran réunis ! Et sa quête n’est pas que religieuse, puisqu’il se mesure à l’histoire et plonge dans l’œil du maëlstrom de l’actuel Moyen-Orient. Cela ressemble à une bravade donquichottesque, et pourtant Didier y parvient de manière plus que convaincante, avec éclat. Fuyant le pittoresque abondant et fleuri de la Ville Sainte, il a construit un damier de paysages et de visages (lui dit “un palimpseste”) qui nous parle et ne peut laisser indifférents que ceux qui ignorent ce que représente Jérusalem pour l’humanité. Paysage et portrait sont peut-être les deux seuls vrais fondements de la photographie, et pourtant Didier réussit à en renouveler les genres. Par des cadrages serrés et de très gros plans sur des fragments de corps et de visages, comme seuls l’osaient certains photographes des années vingt et trente dans leurs expérimentations. Par une couleur puissante où dominent les rouges et les noirs, couleurs violentes et subversives s’il en est. Le rouge surtout, celui de la terre et des pierres, des flammes sur les tombes, du sang des moutons. Toute une pourpre en écho au rouge des chairs qui vibrent de cet incarnat dont l’étymologie seule dit la nuance et la chaleur. Alliage singulier et flamboyant que forment ces personnages photographiés à une distance qu’en balistique on nomme “à bout touchant”, et cette lumière qui brûle... Les photos de ce long travail sont réunies aujourd’hui dans un livre « JERUSALEM », éditions du Panama, Paris
Jérusalem
par Didier BEN LOULOU
« C’est en 1991 que j’ai commencé à travailler sur Jérusalem ; j’ai poursuivi cette quête quotidienne jusqu’en 2006. Son aboutissement est un livre et un corpus de 124 images. C’est une toute petite partie de l'ensemble des planches existantes, et de la matière que représente cette folie, constituée de plusieurs milliers d’images. Être à Jérusalem c’est pouvoir explorer une ville matricielle, un lieu d’origine où chacun suppose que quelque chose lui appartient. C’est remonter image après image aux mythes fondateurs. C’est tourner les pages du Livre et avancer sur les lieux mêmes où cette Histoire s’est déroulée. C’est constater - où que nous portent nos pas - qu’ il y a eu sur le Mont Moriah l’épreuve d’Abraham, le chemin de croix de Jésus dans la via Dolorosa, et que Mahomet avec sa jument s’y est envolé vers la Mecque. Lieux saints, territoires de sainteté, géographies métahistorique, interprétations apocalyptiques, visions messianiques, Jihad. La Bible nous raconte aussi les prophéties, celles qui feront de Jérusalem une ville de paix pour toutes les nations. J’aime parfois relire celle de Jérémie et de son amandier en fleurs. Pourtant, que de souffrance dans le quotidien de ses habitants, de douleurs et de larmes. Le sang qui coule à Jérusalem comme partout ailleurs dans le monde ne sera jamais sanctifié. La haine l’emporte sur la paix, les gens au nom de Dieu sont prêts à tous les sectarismes et fanatismes. Ville de paix: Yerouchalaïm ou encore la Sainte, comme disent les musulmans? C’est à l’intérieur de ses murailles et dans sa périphérie la plus proche que j’ai œuvré. Je passe d’un quartier à l’autre en jouant sur cet échiquier miné le rôle du fou. Échec et mat, je n’en suis pas sûr. Au bout du compte, il ne reste que quelques images et sur 3000 ans d’histoire, ces quinze années pèsent peu. Finalement ce que j’ai tenté, c’est de descendre au plus près de ces mythes fondateurs et de constater la manière dont ils agissent encore et toujours sur ses habitants, et en cela Jérusalem a été pour moi une sorte de microcosme d’exploration. Je n’ai cessé de faire une photographie qui ne tend pas à la représentation, mais à l’identification des choses. La vie peut être éprouvante dans cette cité, j’y ai rencontré beaucoup de souffrance de part et d’autre. Des visages croisés disent la peur et l’attente, mais aussi le désir. Parce que la vie a toujours le dessus sur la grande Histoire. Le jeu des enfants, comme cette petite fille sur sa balançoire l’emporte sur la terreur et la fureur du monde. Jérusalem fut pour moi à l’image d’un volcan crachant par intermittence sa lave incandescente sur ses bords et pentes et qui vont jusque dans les territoires et plus loin encore. Dans sa préface au “Bleu du ciel”, Bataille se demande: “Comment peut-on perdre du temps sur des livres à la création desquels l’auteur n’a pas été manifestement contraint?” Je ne cesse de photographier par manque de choix et sous la contrainte des lieux et des êtres, seule la douleur me fait avancer. Je ne saurai jamais photographier un simple paysage pour sa beauté ou sans la présence de l’être humain.