Je me suis toujours tué à dire, à qui voulait l'entendre, que l'illustration était la plus vaine des poursuites : pourquoi se donner la peine de répéter (fût-ce dans un autre medium) ce qui a déjà été exprimé à la perfection ? Et pourtant ces photos se veulent une illustration des poèmes de Giorgio Baffo (1694-1768), patricien de la Venise dite décadente et auteur des obscénités les plus extrêmes, les plus désinvoltes et les plus délicieuses qui soient. Comme je me suis tué à dire que je ne tenais pas à étaler mes émotions intimes. Et pourtant ces photos les dévoilent – bien qu'avec le recul d'un homme de 80 ans. Ou à soutenir que le sujet d'une photo (comme de toute œuvre) n'en est que le prétexte, le seul message qui compte étant sa forme. Je continue à le croire et pourtant, si j'ai fait ce travail, c'est parce que je ne voulais pas finir ma vie de photographe sans avoir touché au sujet qui fut, si longtemps, au centre de mes pensées et de mes rêves. Je ne demande qu'à montrer ces images. Et pourtant à chaque fois que je les soumets au regard d'une autre personne, je me sens comme sur une corde très raide. Car l'amour physique est à la fois l'expérience la plus générale et la plus particulière. Les réactions de ceux à qui j'ai lu les poèmes de Baffo (qui même en Italie restent peu connus) ont varié entre l'incompréhension, la gêne, le rire goguenard et un enchantement proche du mien. Il en sera sans doute de même pour ces photos, même pas atténuées par le dépaysement de trois siècles et du dialecte d'une société disparue.
Frank Horvat