
Les Brasseurs 6, rue des Brasseurs 4000 Liège Belgique
Description générale du projet :
Si l’on se reporte à l’histoire de l’art du XXe siècle, on s’aperçoit que la question de la collection a été convoquée et interprétée de mille manières par les artistes : que l’on songe à la boîte-en-valise de Marcel Duchamp, aux musées fictifs inaugurés par Marcel Broodthaers ou par Claes Oldenburg, aux inventaires de Christian Boltanski ou aux cabinets de curiosité de Mark Dion, toutes ces œuvres ont en commun de faire appel aux logiques idéologiques, taxinomiques et scénographiques de la collection. Cette transposition dans l’œuvre elle-même des aspects les plus divers du collectionnisme n’est pas née de nulle part. Elle se trouve liée à une évolution qui concerne aussi bien la place que l’artiste a progressivement été amenée à occuper dans le système de légitimation de l’art que les conditions par lesquelles le musée a récupéré les stratégies d’accumulation, de citation et d’appropriation mises en œuvre par les artistes à compter des années 60-70. C’est à cette époque en effet que toute une génération d’artistes s’emploie à ironiser, à déconstruire ou à objectiver les modes de présentation des œuvres d’art, le musée devenant lui-même le support et le cadre d’interventions destinées à en dénoncer les mécanismes.
Le rapport que l’artiste entretient avec l’univers de collection n’en demeure pas moins ambigu. On aurait tort en effet de croire que l’ « œuvre collection » n’a de signification que celle, critique et ironique, de remettre en cause le système de valeurs et de pouvoir qui régissent le contexte institutionnel de l’art. La collection est aussi un monde secret et merveilleux qui continue d’alimenter l’imaginaire et de susciter des mises en scène aussi poétiques qu’inventives. D'un tel projet, placé sous le signe de la diversité, il ne faudra pas s’attendre à l’inventaire ou l’analyse exhaustive de toutes les manières dont le thème de la collection peut être traité. L’objectif est en soit plus humble et plus immédiat : réunir des œuvres contemporaines qui, par des voies singulières, mettent en pratique, en scène ou en cause l’univers de la collection.
Une double manifestation sur le thème collection
S’inscrivant dans le projet culturel de la Province de Liège « Passages », l’exposition L’œuvre-collection se tiendra parallèlement à une vaste manifestation consacrée au collectionneur et au mécène liégeois Fernand Graindorge. Organisée aux mêmes dates à la Salle Saint-Georges du Musée de l’Art wallon à Liège, cette exposition a pour commissaire Dominique Mathieu, directrice des Brasseurs et filleule de Fernand Graindorge, et Françoise Dumont, conservatrice du Musée de l’Art wallon. Elle est organisée en partenariat avec la Ville de Liège et la Communauté française de Belgique.
Le Catalogue
A l’occasion de l’exposition L’œuvre-collection, un catalogue sera publié aux Éditions Yellow Now. Cet ouvrage illustré comporte un texte introductif écrit par Julie Bawin et huit carnets réalisés sur base d’une carte blanche distribuée à chacun des exposants. Disponible dès l’ouverture de l’exposition, ce catalogue est publié grâce au concours de la Communauté française de Belgique.
Présentation des artistes
Jacques Charlier (Liège, 1939)
Artiste liégeois d’envergure internationale, Jacques Charlier n’a cesse, depuis le début des années 60, de questionner le monde de l’art. Son rapport à la collection est évident dans nombreux de ses travaux, qu’il s’agisse de sa collection de photographies « professionnelles » prises par son collègue André Bertrand ou de son installation « Peintures » composée de quinze toiles d’artistes fictifs issus de quelques-uns des courants d’avant-garde du XXe siècle. Depuis plusieurs années, Charlier collectionne des images, objets et livres autour de Sainte-Rita, la patronne des causes désespérées. C’est cette collection, empreinte de mysticisme et de drôlerie, qui sera présentée à l’exposition.
Denmark (Anvers, 1950)
De son vrai nom Marc Robbroeckx, Denmark accomplit, depuis le milieu des années 70, une œuvre exemplaire de continuité et de cohérence. Avec pour matériau le papier usagé et pour procédés le découpage, le pliage, le tranchage et la compression, l’artiste développe tantôt des compositions qui délibérément font table rase du document initial, tantôt des montages répondant aux principes d’accumulation et de sérialité taxinomique propre au monde muséal. Tel est notamment le cas de sa collection de bocaux stérilisés où des documents – des revues d’art pour l’essentiel – on été pliés et compressés pour être ensuite restitués sous la forme de reliques résolument contemporaines.
Laurent Dupont-Garitte (Chênée, 1976)
Vivant et travaillant entre Liège et Bruxelles, Laurent Dupont-Garitte s’est fait connaître en 2007 pour une exposition conçue à partir de sa propre collection de peintures anonymes récoltées au gré des brocantes (La collection Dupont-Garitte, galerie Flux). Envisagée d’abord comme le fruit d’un héritage dont il devenait le seul garant, sa collection est très rapidement devenue un lieu d’action critique lui permettant de questionner les phénomènes de déformation, voire de dissolution, qu’impliquent les modes de transmission et de sélection des images récoltées. L’élément central de la réflexion de l’artiste est alors devenu « il y a, il y a eu une collection, voici comment je la donne à voir, comment je la transmets ». Entre pratique sculpturale et création vidéo, son travail donne à avoir les errances d’une collection exposée dans son absence.
Joan Fontcuberta (Barcelone, 1950)
Artiste de réputation internationale, Joan Fontcuberta s’est fait connaître au début des années 80 pour des séries photographiques où l'animal se mêle au végétal : Herbarium (1982), Faune secrète (1985) ou encore le Cabinet du Dr. Moreau (1986). Ces recherches ont rapidement découché sur des installations pastichant la scénographie muséale traditionnelle et donnant l’illusion, par la présentation minutieuse des objets et prises de vues, d’une véracité scientifique (Fauna, 1987). Jouant constamment sur la question du vrai et du faux et sur l'ambiguïté des images, Fontcuberta a donné naissance à des personnages fictifs plus vrais que nature. C’est notamment le cas du paléontologue Jean Fontana dont l’histoire mystérieuse nous sera relatée à travers les objets, fossiles, ouvrages et carnets que comporte l’immense installation des Sirènes de Digne
Karen Knorr (Francfort, 1954)
Américaine née en 1954 à Francfort, qui a fait ses études à Porto et vit à Londres, Karen Knorr utilise la photographie comme une historienne, une romancière, une documentariste. Depuis sa série Connoisseurs (1986-1988), par allusion aux grands collectionneurs esthètes de la fin du XIXe siècle, l’artiste n’a cesse d’interroger l’aura et l’autorité dont bénéficient les lieux patrimoniaux que sont les cabinets de curiosités, les musées de beaux-arts et les muséums d’histoire naturelle. À coups d'ellipses et selon des mises en scène très théâtrales, elle instaure dans ses photographies un climat à la fois drôle et inquiétant, nous invitant à démasquer les rites et les codes culturels qui régissent le milieu de l’art.
Paul Mahoux (Kabgayi, 1959)
Peintre et illustrateur liégeois, Paul Mahoux décrypte depuis plusieurs années les stéréotypes de la communication de masse. Ses peintures réalisées à partir des « Une » du quotidien français Libération le prouvent. Ce que l’on connaît moins de l’artiste, c’est le travail de récolte auquel il s’adonne chaque jour et l’importance que revêt pour lui l’espace de l’atelier. De façon totalement inédite, l’artiste proposera une installation conçue à l’image même de son atelier : un lieu de récolte où se trouvent accumulés ses œuvres, ses outils, ses accessoires, mais aussi ses journaux, ses livres, ses archives et ses souvenirs.
Jeanne Susplugas (Montpellier, 1974)
Vivant à Paris, travaillant régulièrement à Berlin, Jeanne Susplugas occupe une place singulière dans le champ de l’art contemporain. Repérée d’abord pour des séries de photographies réalisées à partir d’une collection de jouets, elle s’est ensuite fait connaître pour des séries de dessins, de photographies (Addicted) et d’installations (La Maison malade) tournant autour de la pharmacopée. Ce que l’artiste thésaurise et mettra en scène aux Brasseurs ? Des milliers de boîtes de médicaments vides qui, restituées sur le mode du stockage, avivent l’efficacité du propos de l’artiste : révéler nos addictions, nos peurs et, plus globalement, l’aliénation contemporaine à l’accumulation et à la consommation.
Joëlle Tuerlinckx (Bruxelles, 1958)
Artiste phare de la scène artistique internationale, Joëlle Tuerlinckxs est l’auteur d’un travail complexe, tant il s’apparente tout entier à une vaste entreprise de recensement. Par des supports spécifiques (installation, vidéo, diapositives) et des objets divers (chutes de papier, livres, pierres), elle conçoit des dispositifs visuels s’organisant autour de la gestuelle de la compilation et de l’archivage. Inclassable par la variété des modes d’expression mis en œuvre, son œuvre a pourtant ceci de stable qu’elle explore inlassablement la place de l’objet réel dans le temps et dans l’espace. Les éléments qu’elle s’approprie ne sont pas simplement détournés ou inventoriés : ils participent avant tout d’une expérimentation de l’exposition et d’une réflexion personnelle sur le monde du musée et de la collection. C’est ce rapport à la fois intime et extime qu’elle entretient à l’égard de la collection qui sera montré aux Brasseurs. Pour l’occasion, Joëlle Tuerlinckx mettra en effet en scène le fruit d’une récolte qu’elle a commencée lorsqu’elle était enfant.