Centre Régional de la Photographie Nord Pas-de-Calais Place des Nations 59282 Douchy-les-Mines France
TERRITOIRES ÉMERGENTS est un projet international pour le soutien à la jeune création. Le projet, qui se déroule sur une durée d'un an, de décembre 2008 à décembre 2009, est destiné à créer des opportunités artistiques et professionnelles dans la région Nord Pas-de-Calais pour cinq jeunes photographes lauréats résidant sur le territoire français et britannique. Les artistes ont bénéfcié du soutien du CRP et de ses partenaires pour la production artistique et éditoriale ainsi que pour des résidences de création.
L'exposition collective dans la galerie de l'ancienne poste du CRP montre les travaux réalisés dans le cadre de ce projet en région Nord Pas-de-Calais.
Ce projet s'articule autour d'un thème central : la réfexion approfondie développée par les artistes dans leurs démarches respectives sur les notions de territoire liées aux évolutions politiques et économiques dans ce territoire transfontalier et les infuences que ces changements peuvent induire sur les populations.
Le territoire concerné par ce projet européen est au cœur de cette thématique avec une population et une urbanisation extrêmement denses.
L'objet est de travailler avec des jeunes artistes qui traitent de ces problématiques et de les aider à développer leurs pratiques sur le terrain, en relation avec des partenaires professionnels dans les domaines de l'art, de la photographie, de l'urbanisme et de l'environnement.
Ainsi les artistes ont été confrontés aux différentes particularités de ce territoire.
L'expertise des structures partenaires a participé au développement des recherches, à l'orientation et à l'évolution de leur travail.
Les partenaires associés pour soutenir la réalisation des projets artistiques en apportant leur expertise spécifque aux jeunes artistes :
Luce Choules a reçu le soutien pour ses recherches ainsi que pour sa publication du Parc naturel régional Scarpe-Escaut et du Parc naturel transfrontalier du Hainaut.
Victor Costales et Julia Rometti ont été soutenus par :
Artois Comm., Communauté d'Agglomération de l'Artois et Lab-Labanque, Béthune,ainsi que le Centre Historique Minier du Nord-Pas de Calais, Lewarde.
Virginie Laurent a bénéfcié d'une résidence à la galerie / Ateliers L'H du Siège, Centre d'art, Valenciennes.
Anna Katharina Scheidegger a été conseillée par le CAUE Nord, Conseil d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement et accompagnée par la SNCF.
La réalisation de son travail a été rendue possible grâce à la précieuse collaboration de :
Le Fresnoy - Studio national des arts contemporains, Tourcoing.
Tous les partenaires ont participé au jury de sélection ainsi que deux photographes :
Eric Poitevin, président du jury et Philippe Bazin.
LUCE CHOULES
Son édition originale a été soutenue par le Parc naturel régional Scarpe-Escaut et le Parc naturel transfrontalier du Hainaut.
La géographie des images :
Ce qui fait la puissance des plans quadrillés, c'est qu'ils rendent possible de situer n'importe quel individu ou objet à l'intérieur d'une totalité spatiale abstraite. Mais leur vertu est également leur danger : celui de réduire le monde à un ensemble de données, d'enregistrer l'espace indépendamment de l'être.
Robert Macfarlane, The Wild Places, 2007, p.141
« Le concept de paysage en tant que témoin du passage humain est au centre de ma pratique. À travers l'enregistrement photographique, je vise à produire des œuvres qui créent des identités nouvelles pour ces espaces partagés, à la fois modifiés et médiatisés par l'activité humaine. Les lieux que je traverse ou sur lesquels je me rends sont généralement bien balisés – parcours cyclistes longue distance empruntant des petites routes, chemins de randonnée du GR et routes de pélerinage, escalade de rochers escarpés, de sommets et de glaciers répertoriés, ou visite de sites historiques à l'intérieur ou en bordure de villages ou de petites et grandes villes. Je m'intéresse à la fois aux points de détails et à la globalité de ces paysages construits et naturels, recensant dans mes photographies les caractéristiques qui sont intrinsèques à un lieu et celles qui lui sont imposées.
Les projets que je crée englobent voyage durable et production d'œuvres grâce à des ressources et des moyens minimaux. Je compose des œuvres photographiques contextuelles qui évoquent les textures et les teintes d'un lieu et constituent une documentation et un ensemble d'informations ayant trait à une région spécifque.
Le cadre montré par les images apaisantes de paysages plus vastes nous offre la possibilité de retrouver une communion avec le paysage naturel – avec des lieux d'une grande beauté et d'une grande signifcation.
Photo-topographie :
Les images uniques contiennent des informations rassemblées sur le terrain : ces photographies individuelles éclairent une rencontre personnelle et ouvrent une réfexion
sur les questions plus vastes soulevées par une région ou un lieu ». Luce Choules
VICTOR COSTALES & JULIA ROMETTI
Depuis 2005, les deux artistes développent un travail commun. Leur travail se nourrit de voyages dans des villes comme São Paulo, Lima, Santa Cruz, La Paz, Cuidad del Este, Quito, Huaquillas, Brasilia, Rio de Janeiro… Le travail de ces artistes est composé essentiellement d'images de sources différentes (cartes postales, magazines, posters, journaux, de l'imagerie populaire et de leur propre travail photographique…) qui représentent des espaces modifés par l'activité humaine et notamment par des phénomènes de densifcation et de croissance urbaine. Le travail prend forme suite à des recherches, à la collecte de documents de toute sorte. Ces documents forment une banque de données répertoriées et classées. Les images trouvées peuvent témoigner de l'histoire et du patrimoine des sites concernés, mais aussi de certains stéréotypes omniprésents dans l'imagerie populaire.
Entre poésie et documentaire, le travail se compose d'un récit singulier par le déplacement des images dans un contexte différent : celui de l'exposition et de l'édition.
Dans le cadre de « Territoires émergents » les artistes ont effectué une résidence pendant plusieurs semaines à Lab-Labanque, Béthune, avec le soutien de l'association « La Pomme à Tout Faire ». L'équipe de Lab-Labanque a accompagné les artistes dans leurs recherches sur le territoire. Ils ont exploré l'ouest du bassin minier afn de saisir la nature du changement perpétuel de ce paysage industriel et urbain. La colonisation par la faune et la fore des terrils, les cités minières, les documents du fonds iconographique du Centre Historique Minier du Nord-Pas de Calais, Lewarde, les zones industrielles et les paysages issus de l'extraction du charbon ont été les sources pour élaborer un travail artistique qui invite à une relecture fantastique du territoire.
Ainsi les artistes ont conçu une installation composée d'images réalisées sur place (photographies et vidéo), et d'un matériel collecté ou emprunté (des images photographiques du Centre Historique Minier, des cartes postales et des magazines provenant de la collection des artistes, des extraits de flms – « Dreams » Kurosawa, « Wanda » Barbara Loden…)*.
* Cette juxtaposition d'images de différentes natures suggère des associations qui trouvent un écho entre notre représentation universelle du monde et notre imaginaire collectif. Le terril, un genre de phœnix renaissant de ses cendres, est l'épicentre de la zone de recherche ; il est en devenir une pyramide, un volcan, la terre primaire ou spatiale en exploration. « Post-tropics on anthracite wonder » est une proposition artistique qui nous renvoie vers l'époque carbonifère, et en même temps met en évidence la dimension artifcielle de ce « paysage modifé » par l'industrie et son évolution future.
VIRGINIE LAURENT
Virginie Laurent travaille sur les communautés vivant en marge sociale et spatiale. Elle s'intéresse aux populations qui habitent un lieu particulier (religieuses, détenues, habitants de banlieue, clandestins, gens du voyage, etc.), à leur appropriation du territoire, la trace qu'elles laissent, leurs identités, la mémoire et l'histoire, aux notions d'ici et d'ailleurs. Elle établit un contact direct avec un public, une population, un territoire : elle échange, écrit et photographie. Elle redonne image et voix à ceux qui sont peu visibles, voire « invisibles » dans les médias. Son travail est une invitation à la rencontre. Il s'agit de voir l'individu dans le groupe, l'humain derrière le costume. Photographier ces personnes, leurs territoires, offre un regard critique sur notre société contemporaine et montre une résistance à l'uniformisation. Travailler sur les marges d'une société, c'est tenter d'en défnir ses contours, ses limites, par ceux qu'elle exclut ou qui s'en excluent.
Dans le cadre de « Territoires émergents », Virginie Laurent a bénéfcié d'une résidence de trois mois à L'H du siège, centre d'art à Valenciennes. Elle a pu poursuivre ses recherches photographiques sur une population « marginale » et stigmatisée : les « Gens du voyage ».
On les appelle Roms, Tsiganes, Manouches, Gitans ou Voyageurs. Ces termes véhiculent une série d'images positives comme la liberté, la musique, les femmes mais aussi négatives : le parasitisme, l'asocialité, la délinquance. Cette communauté fait rêver autant qu'elle fait peur.
Ce qui est fondamental dans la réalisation du projet montré dans le cadre de cette exposition, c'est comment le travail photographique et textuel met en évidence un aspect contemporain du mode de vie des « gens du voyage » : la transition du nomadisme vers la sédentarisation.
La loi Besson (remaniée en 2000) réglemente le stationnement des « Gens du voyage » sur les terrains d'accueil, par conséquence leurs déplacements. Il est très diffcile aujourd'hui d'installer sa caravane hors des espaces réservés, donc de circuler librement. Cette population entame une phase transitoire quant à son rapport à l'espace : sa mobilité, élément déterminant de son identité, est aujourd'hui menacée. Que reste-t-il de cette identité communautaire forte face à la sédentarisation ? Quel nomadisme est possible aujourd'hui ? Les « Gens du voyage » sont-ils « en voie de disparition », comme l'affrme l'un d'eux ?
En se rendant sur différents terrains, terrains réservés, privés, « habitats adaptés » et terrains « sauvages », elle a pu rencontrer des « Gens du voyage » en voie de sédentarisation ou la refusant, et les a photographiés, dans le Valenciennois et les espaces qu'ils y occupent.
L'hésitation est intense entre nomadisme et sédentarité. Certains déplacent leur habitat mobile (la caravane) au gré des expulsions et transforment ainsi un espace « sauvage » en territoire. D'autres occupent une maison, mais la caravane est toujours là et même si elle n'a plus bougé depuis des mois, voire des années, elle en garde le potentiel intrinsèque.
Les photographies des personnes nous montrent leurs corps dans l'espace, les attitudes théâtrales et fères de certains, des scènes de vie. Pour les portraits, elle a demandé à chacun de choisir une pose et un cadre. Ils se sont alors montrés seuls ou en famille, devant la caravane puisqu'elle « représente la liberté » ou devant des haies « parce qu'on vit avec la nature », habillés pour l'occasion ou « en habit de tous les jours parce qu'on est simples ». Pour elle, le portrait est d'abord un échange avec celui qui pose, c'est pourquoi un tirage est remis à chacun après la prise de vue.
Virginie Laurent a travaillé avec Noémie Le Rouvillois, géographe. Son analyse a permis de réaliser une série d'entretiens et une étude spécifque du contexte et de la situation de ces personnes aujourd'hui dans ce territoire du Nord Pas-de-Calais. Elle permet d'approfondir la réfexion sur cette population, son histoire et son devenir : « Les « Gens du voyage », population minoritaire dans la « société englobante », ont un rapport différent à l'espace par rapport à celui de la population sédentaire. De plus en plus de lois viennent réglementer leur circulation sur le territoire français.
La pratique de la mobilité des « Gens du voyage » et celle des « sédentaires » tendent paradoxalement à s'inverser » […]
[…] « Par ailleurs, la présence des Roms et les réactions qu'elle suscite, tant par le développement des stéréotypes que par les actions politiques, mettent à nu des attitudes et comportements habituellement masqués : la présence tsigane est un révélateur qui aide à questionner la démocratie. »
Jean-Pierre Liégeois, in « Roms et Tsiganes » éd. La Découverte, 2009
ANNA KATHARINA SCHEIDEGGER
Le projet intitulé « TRACT OF LAND, a symphony », est un flm construit à partir de photographies qui interrogent les phénomènes d'évolution urbaine et trouvent dans le médium cinématographique, une alliance qui rend compte avec pertinence cet intérêt porté à ce questionnement.
La région du Nord Pas-de-Calais est particulièrement marquée par le renouvellement du plan urbain. Des bâtiments qui ont perdu leurs fonctions premières sont réaménagés.
Ces espaces en évolution, ces sites à l'abandon de l'industrie, sont des terrains indéfnis dans cette attente d'une nouvelle vie, des sortes de No man's land, des espaces qui sont construits dans une fonctionnalité pure et qui ont perdu leur utilisation prévue. Dans ce flm, Anna Katharina Scheidegger établit un lien entre des espaces occupés par des voies ferroviaires, les espaces publics des gares contemporaines et l'histoire du chemin de fer dans le Nord, par exemple la première ligne de chemin de fer entre Somain et Péruwelz qui était fortement liée à l'industrie du charbon et de la métallurgie.
Le flm « TRACT OF LAND, a symphony », consiste en une analyse photographique sur la fonction, l'architecture, l'utilisation et l'apparence mais aussi la magie des espaces, peu vus comme un véritable terrain physique. À travers la photographie, Anna Katharina Scheidegger montre la beauté et la richesse des endroits qui se trouvent dans un entre-deux, cet état des lieux qui n'entre pas dans les schémas et défnitions habituels et, comme réponse, proposent un espace de liberté. Le but est de montrer un trouble et un éblouissement des espaces que l'on remarque à peine.
Ainsi l'artiste poursuit ses recherches photographiques traitant de l'architecture, mais dans un but narratif. Destinée à une temporalité, à une durée à l'écran, l'esthétique de la photographie se modife sous forme flmique. En flmant la photographie, l'artiste guide le regard du spectateur : le recadrage et le mouvement sont imposés. Le travail au banc-titre ranime la photographie et révèle d'autant plus le caractère mortuaire de ces lieux, qui trouvent parfois une nouvelle vie quand ils sont réinvestis. Les images photographiques sont très précises et fgées, à l'arrêt. Cette écriture se prête parfaitement pour le contenu de « TRACT OF LAND, a symphony ».
grâce au partenariat entre le CRP, le CAUE et la SNCF, et dans le cadre de « Territoires émergents », ces lieux photographiés sont identifés, analysés et défnis pour que la photographe puisse y travailler le jour et la nuit. Les photographies forment un inventaire des choses cachées qui ne peuvent exister que dans un endroit insolite comme celui qui n'est pas complètement exploité. L'esthétique surréaliste de la photographie de nuit, avec le mélange de restes de la lumière naturelle à la tombée de la nuit, nous propose une colorimétrie étrange et fantastique qui contraste avec la lumière brute de la journée. En dehors de cela, une véritable diversité concernant l'activité dans l'espace va être rendue visible.
Particulièrement passionnée par la relation entre photographie et cinéma, Anna Katharina Scheidegger, travaille avec précision la prise de vue à la chambre et la fnesse du mouvement du banc-titre.
Ce travail ouvre une nouvelle lecture des lieux industriels typiques du Nord Pas-de-Calais, permettant de multiples possibilités de narrations spécifques à la photographie d'architecture et du paysage.
La réalisation de cette œuvre est rendue possible grâce au partenariat entre le Fresnoy et le CRP.