CAP - Centre Atlantique de la Photographie Galerie du Quartz Square Beethoven 60 rue du Château 29000 Brest France
Depuis Shelter, son premier livre publié en 1997, série de portraits de femmes de notre temps, J .H.
Engström tâche avec le simple outil de la photographie de documenter les situations qu’il traverse.
La charge autobiographique de son projet est une suite de face à face avec le monde et son chaos ; le constat d’une impossible construction stable de l’identité face à la déshérence du présent. Trying to Dance, livre au regard une séquence d’images énigmatiques composée d’autoportraits, de paysages urbains, de portraits nus, de natures mortes, de chambres et de lits défaits. L’alternance du noir et blanc et de la couleur irréaliste des tirages renforcent la portée onirique des images qui hésitent entre le document brut et la présence des fantômes. Images hantées comme l’indique bien le titre Haunts d’un ouvrage publié en 2006.
Dans cette nouvelle séquence photographique, Engström fixe les traces d’un quotidien consommé et consumé. Il se déplace entre différents procédés photographiques sans chercher à séparer les émotions de l’objectivité. Son travail incarne par le biais d’un rythme déstabilisant, le questionnement sur la perte de repère, et fixe les images comme langage autonome, seul capable de figurer la vie, sa fragilité et son mystère.
Faut-il écrire à propos des images d'Engström ? La question d'un texte, indiquant des pistes de lectures au public, se pose inévitablement quand aucun de ses ouvrages publiés chez Steidl ou journal ne comportent le moindre mot. Si aucun texte ne vient soutenir le travail photographique de cet auteur suédois, comme on le fait assez traditionnellement dans de nombreux éditions monographiques, c'est avant tout car toute tentative d'ordonner et de rationaliser sa démarche serait en contradiction, ou du moins en sérieux décalage, avec ses ensembles photographiques, apparemment destructurés et anarchiques. Il s'agit donc d'assimiler que le discours du photographe « tire sa cohérence uniquement d'une logique visuelle dans laquelle il se livre totalement », fixant ainsi la photographie comme langage autonome. « Trying to dance », travail commencé en 1998 et clôturé en 2004, évoque une danse déconcertante et enivrante. Les images nous plongent dans une intimité, avec la récurrence des autoportraits qui nous interrogent sans fin.
Avec « Haunts » (2006), il y a rupture. D'abord rupture avec la série précédente (« Trying to dance »), mais aussi entre les images de l'exposition elles-mêmes : Le visage séduisant d'une jeune femme blonde percute aussitôt celle d'une autre femme, se vidant des excès d'une fête poussée jusqu'au bout, tandis que des paysages lessivés viennent consoler les figures burinées qui se sont sans doute heurtées trop souvent à la brutalité de leurs existences. Engström souhaite à tout prix faire passer ce qu'il ressent, c'est pourquoi la dramaturgie est renforcée au tirage, par un grain très présent, une forte densité des images et la distorsion des couleurs. On trouve aussi des coups de flash, agressifs, venant brûler les peaux et accentuer la tension palpable qui loge dans cette impressionnante suite photographique, où on se moque des genres pour ne faire émerger que l'essentiel : un univers qui porte le bagage de son auteur, édifié par la nécessité irrépressible de créer des images qui, selon lui, ont toujours à faire avec la réalité.
Engström nous compte l'ordinaire, figurant le sexe, l'alcool, les repas, les scènes de fêtes foraines, les bars, rappelant parfois le fameux café Lehmitz d'Hambourg, qu'Anders Petersen1 photographia entre 1968 et 1971. Le photographe ne convoque pas seulement une poésie subjective, capturée au quotidien et qui serait son principal point de visé, comme pourrait le suggérer la photographie d'une page tapuscrite du mot « poetry » répété à l'infini. Paradoxalement, l'objectivité occupe une place prépondérante dans la démarche de l'auteur.
L'objectivité, activée par une distance et un traitement plus direct et froid des images, semble ici une condition nécessaire, face à une vie paraissant consommé sans répit, mais aussi consumée. Une vie absorbée, tant par les excès en tout genre, que par la banalité confondante des scènes ordinaires. On doit les respirations de cet ensemble étourdissant, aux paysages quasi monochromes qui suggèrent l'état périssable des choses, que le temps rend parfois plus surmontable. Le travail de cet auteur procède d'un prélèvement chronique de ce qu'il traverse, se dirigeant consciemment vers les lieux et vers les êtres répondant à ses préoccupations, toujours attentif à la représentation de ses émotions. Mais il ne faudrait cependant pas confondre la vie du photographe et l'expression de ses préoccupations les plus vives.
Faut-il en dire plus ou laisser enfin le visiteur prendre d'instinct ce qui se place ici : Le cirque de la vie réelle dans l'une de ses représentations les plus chaotiques, comme nous le rappelle la photographie d'un manège pour enfant annonçant en son sommet « Crazy World » (monde de fous). Reste encore à évoquer cette maison énigmatique, aux couleurs irréelles : réminiscence mélancolique de la maison familiale suédoise ? Ou incarnation des expériences vécues qui nous hantent, comme semblent nous dire les murs biscornus de cette bâtisse et le titre de la série photographique, « Haunts » ? Enfin, l'autoportrait à nez de clown d'Engsröm, qui ouvre l'exposition et auquel nous tournerons le dos en la quittant, nous signale d'emblée l'autodérision et la distance qu'il adopte lui-même devant les contradictions de l'humanité et de notre société contemporaine.
Emmanuel Madec