Musée de la photographie de Charleroi Avenue Paul Pastur, 11 6032 Mont-sur-Marchienne Belgique
La descente en soi se solde invariablement par l’accablante réalité du vide. Constat qui permet de justifier la nécessité de l’action: faire un livre par exemple. À partir d’une histoire, d’un voyage, façon de ne pas tout à fait quitter le continent de soi mais de lui infliger quelque décentrement. On s’invente alors un alter ego, auquel on est prêt à ne rien pardonner : voilà V.D. à La Havane. Au long cours, avec une vague idée de ce que pourrait venir faire l’art dans cette aventure. Reste un temps infini à passer que le désir parfois intensifie, les images photographiques seront les seules à pouvoir dire, plus tard, que tout cela a bien eu lieu.
Cette vieille chose : l’art et la vie. La poésie de l’expérience. Comment la rejouer au tournant des années 2000 ? Comment déjouer l’autorité de la distanciation qui fait l’académie de la photographie contemporaine sans tomber dans l’expressionnisme des hyperformes photographiques (flou, contraste, surexposition, etc.) ? Tenter la dialectique du descriptif et de l’expressif, quelque chose comme le document sentimental.
L’esprit du lieu est dans l’époque : La Havane, vestige géopolitique de l’utopie. Beyond History. Mais quelle forme photographique donner à cette expérience si celle-ci n’est pas, du moins en partie, proprement photographique ? Reportage, documentaire, carnet de voyage… Rien de tout cela n’accomplira l’ambition silencieuse et informulée du vécu. Mettre en rapport jusqu’à les confondre la crânerie et l’élégance de ceux que l’on côtoie, pour retenir par les poses des corps soumis au flash un peu plus qu’un souvenir. Laisser entendre par le traitement négligeant de l’image que les corps ont été longtemps désirés. Parvenir à ne jamais faire passer l’image avant ce qu’elle montre : s’abreuver au puits du sens commun et se soumettre au pouvoir de l’image.
Sommes-nous tous un jour partis à La Havane ? Dans l’œil borgne de l’Histoire, V.D. s’ingénie à trouver quelque chose comme le naturel, et le livre est désormais tout entier la forme du regret de cet effort.
Ce livre est l’immaturité qui se réfléchit, se reconnaît, puis s’abandonne.
Michel Poivert