Les séries de portraits réalisées par Christian Buffa constituent des photographies d’un genre bien particulier puisqu’elles présentent la caractéristique d’avoir deux référents. Les modèles photographiés se prêtent à la séance de pose dans le but de vérifier que leur propre image est bien celle d’un autre, qu’elle correspond exactement au devenir-autre qu’ils ont imposé à leur corps à force de modifications apportées à leur apparence intime.
Les séries de portraits (Sosies, Western, La Nuit) renvoient chacune à des pratiques trans-identitaires distinctes. Celle des Sosies comprend les métamorphoses opérées en vue de ressembler à des stars du show-biz. L’art du portrait consiste alors à faire passer le sujet photographié de l’inconnu (qu’il est) au connu (qu’il n’est pas) et cela par l’intermédiaire d’un double jeu : tout d’abord, un jeu d’acteur rompu aux techniques de grimage et d’imitation et un jeu de prise de vue : le photographe cadre un visage et lui restitue l’éclairage des feux la rampe. Le Sosie qui naît de cette collaboration n’est jamais un double parfait, c’est un plus que parfait : les yeux de Johnny tirent leur couleur bleue d’un azur en technicolor, la dégaine de Renaud aux paupières très rougies met en avant toute son histoire, comme si à la ressemblance physique l’acteur rajoutait des traits psychologiques relatés par des biographies.
La série Western renvoie à une communauté de personnages qui veulent vivre autrement que par écran interposé leurs rêves d’aventures : le déguisement de sheriff, de hors-la-loi ou d’indien, est un signe de victoire dans chaque portrait sur des nostalgies diverses : le désir de loi, de violence ou d’oppression. Ici encore le portrait voit double, mais au lieu que le modèle cherche à s’approprier les traits d’une autre personnalité identifiée, il ne désire que rejoindre un type d’homme et un décor, devenir en toute impunité l’acteur d’un autre monde, dans un autre temps.
Avec les portraits pris la nuit dans les dancings et les cabarets de la région de Bastia, Christian Buffa s’intéresse à des personnes dont les costumes extravagants sont de libres interprétations de leur identité de danseurs. Saisies en pleine action, éclairées par les lumières blafardes et vives des boîtes de nuit, ces danseuses harnachées de guêpières, de guimpes et de falbalas ressemblent à des oiseaux de nuit, les robes se déployant comme des ailes, les mains s’articulant comme des serres. Ce point commun repérable en chaque portrait n’est pas une coïncidence, c’est la part du photographe.
Si les sujets choisis par Christian Buffa ont la passion du travestissement, il n’en demeure pas moins que la photographie parachève leur désir de transformation. En ce sens, ces portrait sont troublants, non seulement parce qu’ils désorientent le spectateur sur l’identité des portraiturés, mais aussi parce qu’ils révèlent de façon spectaculaire l’essence même du portrait photographique : l’identité comme altérité.