Sarah Garzoni
Médiathèque Louis-Aragon Château de Morsang-sur-Orge, Place des Trois-Martyrs F-91390 Morsang-sur-Orge France
L'oiseau satin est une espèce vivant dans l'est de l'Australie appartenant à la famille des oiseaux à berceaux. Il qui a pour particularité de construire des nids dont la finalité n'est pas réellement fonctionnelle, mais tendrait vers une dimension esthétique*. La complexité des constructions réalisées par les oiseaux à berceaux a fascinée les naturalistes depuis longtemps. Une construction nécessite jusqu'à 7000 brindilles ingénieusement agencées et peut comporter de 5000 à 12000 composants d'agrémentation, qu'il s'agisse d'objets naturels, ou non. Autrefois, on pensait que ces berceaux étaient le fruit de timides indigènes que l'on ne voyait jamais. Cette découverte faite en 1865 par John Gould sera étudiée également par Charles Darwin, car ces oiseaux illustrent parfaitement les deux éléments de la sélection naturelle : compétition des mâles pour l'accès aux femelles, choix des mâles par les femelles. Chez l'oiseau satin, on retrouve bien un processus de sélection fondé sur la compétition, mais cette compétition repose sur un critère singulier dans le règne animal : la dimension esthétique.
À partir de l'exemple de ces oiseaux, Sarah Garzoni a voulu étudier sur le terrain comment une intervention humaine (production et diffusion d'objets dans la nature) pouvait être intégrée, voire participer à un phénomène évolutif. Elle a ainsi fabriqué une centaine de petits objets reprenant des formes chères à Yves Klein, et les a teintés d'un bleu le plus proche possible du fameux « bleu Klein ». Puis elle a disséminé ces objets dans la nature, près des aires de parade, à la libre disposition des oiseaux satins. Les photos des nids fabriqués avec ces objets constituent le cour de la présente exposition, qui nous amène à nous interroger sur la valeur de l'art, le sens esthétique, et finalement sur la condition humaine elle-même par rapport aux autres espèces animales.
L'intérêt de ces nids du point de vue de l'art est leur non-fonctionnalité : à aucun moment des oufs ne sont déposés dans ces nids, qui ne servent que d'aire de parade. Il s'agit d'une proposition artistique citationnelle, où la réminiscence de l'ouvre monochromatique d'Yves Klein rencontre un mécanisme biologique reposant tous les deux sur une seule et même couleur. La rareté des objets collectionnés serait l'un des critères fondamentaux de sélection par les femelles, obligeant les mâles à pratiquer « le vol » chez leurs « concurrents ». Les mâles collectent des objets uniquement de couleur bleue et vont même jusqu'à parfois « peindre » en bleu l'intérieur des structures avec un mélange de baies écrasées et de salive. Ici, cette valeur accordée à l'objet est matérialisée, catalysée, dans la multiplication de répliques d'ouvre d'art. L'intervention de l'artiste joue sur la sublimation de l'aura investie dans ces objets : délaissant les plumes de perroquets, les oiseaux se tournent aujourd'hui vers des matériaux plus «précieux», car plus rares dans la nature : objets polis plus réflecteurs, couleurs plus vives dues à des colorants artificiels contenus dans les plastiques (pailles, pinces à linge, bouchons...). De là, il n'y avait qu'un pas à franchir pour leur faire partager nos oeuvres d'art... En définitive, ce travail part d'une réflexion sur l'idée que, si l'art est le « propre de l'homme », qu'en est-il du sens esthétique que nous semblons partager avec d'autres espèces ?
*« c'est à dire qu'ils nous apparaissent beaux, qu'ils semblent avoir cette fonction esthétique, et qu'il est difficile de leur attribuer une autre fonction », Dominique Lestel.