Sergueï Mikhaïlovitch  Procoudine-Gorsky

Sergueï mikhaïlovitch Procoudine-gorsky

#Photographe #Paysage
SERGUEÏ MIKHAÏLOVITCH PROCOUDINE-GORSKY 1863-1944

Petit-fils du dramaturge Mikhaïl Ivanovitch Procoudine-Gorsky, Sergueï Mikhaïlovitch Procoudine-Gorsky est né à Mourom, en 1863, au sein d’une famille de la vieille noblesse russe établie à Founikora Gora, dans la province de Vladimir. Il est le représentant d’une élite, férue de science et de technologie.

Élève du prestigieux Lyceum impérial, étudiant en physique et mathématiques à l’Université de Saint-Pétersbourg puis à l’Académie militaire de médecine, il reçoit une solide formation scientifique, doublée d’une éducation artistique. Nommé à la tête du conseil d’administration de la Société d’état des hauts-fourneaux et fonderies de Gatchina, à la suite de son mariage, en 1890, avec la fille du général Alexandre Stepanovitch Lavrov, représentant de la puissante industrie de l’acier et chercheur éminent, il fréquente très tôt la Société impériale Russe de technologie, dont il intègre la Cinquième section consacrée à la photographie en 1898. Il en deviendra président, en 1906.
Ses premiers articles sur la photographie datent de 1897. En août 1901, Procoudine-Gorsky ouvre un studio de photozincographie et de technique photographique, à Saint-Pétersbourg. Très vite son goût pour la recherche le pousse à s’intéresser à la photographie en couleurs, qui demeure en ce début de siècle, un domaine expérimental. À l’automne 1902, il décide de se rapprocher du physicien et astronome allemand Adolph Miethe, titulaire de la chaire de photographie, de photochimie et d’analyse spectrale à l’École supérieure de technologie de Charlottenburg, afin de s’initier au procédé de prise de vues trichromes que celui-ci vient de mettre au point.
LE PROCÉDÉ DE LA TRICHROMIE
Ce procédé découle directement du principe de séparation des couleurs constitutives de la lumière blanche, mis en évidence, en Angleterre, par James Clerk Maxwelle, en 1861. La méthode mise au point par Miethe consiste - pour un sujet donné - à réaliser successivement trois négatifs, à l’aide de trois filtres de couleur distincte. Puis, à partir de ces négatifs, à réaliser, par contact, trois positifs, eux-mêmes sur plaque de verre, dont la projection simultanée à l’aide d’un appareil spécifiquement conçu, permet, par interposition des trois mêmes filtres, la restitution de l’image définitive en couleurs.

Le procédé est remarquable, mais la sensibilité de l’émulsion des plaques utilisées n’est pas égale dans tous les champs du spectre et les couleurs restituées sont aléatoires et peu fidèles. À son retour en Russie, Procoudine-Gorsky, décide de travailler à l’élaboration d’une émulsion offrant une photosensibilité égale à l’ensemble des rayonnements émis par les couleurs du spectre. En chimiste émérite, il y parvient, dès 1905 et s’impose dès lors, tant en Russie qu’en Europe, comme le spécialiste incontesté du procédé trichrome. C’est aux exceptionnelles propriétés photosensibles de ce mélange, que ses « vues optiques en couleurs », ainsi que Procoudine-Gorsky les appelait doivent leur incomparable rendu chromatique.
LES PREMIÈRES PROJECTIONS DES « VUES OPTIQUES EN COULEURS » REALISÉES PAR PROCOUDINE-GORSKY

En février 1905, Procoudine-Gorsky organise à Saint-Pétersbourg, une première présentation de soixante-dix de ces images à l’aide d’un appareil de projection spécialement fabriqué en Allemagne. D’autres séances suivent – en avril 1906 au VIe Congrès de chimie appliquée à Rome, en décembre 1907, à l’Institut de physique de Saint-Pétersbourg - suscitant l’enthousiasme et l’émerveillement. Le 30 mai 1908, Procoudine-Gorsky est invité à faire la démonstration de son travail, pour lequel il a obtenu une médaille d’or à l’Exposition internationale d’Anvers, deux ans plus tôt, devant les représentants du Conseil d’État et de la Douma. Le Grand-duc Alexandre Mikhaïlovitch, frère du tsar, assiste à cette présentation. Conquis, le Grand-duc persuade Nicolas II de recevoir le photographe.
SA RENCONTRE AVEC LE TSAR

Le soir du 3 mai 1909, Procoudine-Gorsky est reçu au palais impérial, à Tsarkoïe Selo. Cette rencontre avec le tsar est décisive. Procoudine-Gorsky, à cette date, a déjà beaucoup voyagé et abondamment photographié. Il sait qu’il tient un moyen exceptionnel de fixer les splendeurs naturelles, patrimoniales et artistiques de cette ancienne Russie dont il mesure tant la richesse et souhaiterait s’engager dans ce recensement d’une manière systématique. Le tsar, grand amateur de photographie, subjugué par les images qu’il découvre, lui accorde instantanément son soutien. Des lettres de mission lui sont délivrées, un wagon spécialement aménagé en laboratoire, mis à sa disposition. Reçu par le ministre des Transports, Procoudine- Gorsky établit un programme de prise de vues de dix mille images sur dix ans, qui doit le conduire de la Baltique au Pacifique. La Première guerre mondiale et la Révolution de 1917 l’empêcheront de mener ce dessein à son terme. Le nombre des images engrangées n’en est pas moins considérable.
Entre juillet 1909 et l’été 1916, date de sa dernière mission, avant son départ en exil, Procoudine-Gorsky réalise environ 3500 vues. Seules 1902 de ces images, sorties de Russie à une date qui reste aujourd’hui indéterminée et achetées par la Bibliothèque du Congrès à Washington en 1948, sont conservées.



LES MISSIONS DE PROCOUDINE-GORSKY DANS LES ESPACES DU MUSÉE ZADKINE

Procoudine-Gorsky connaissait l’existence des autochromes des frères Lumière ses contemporains qu’il rencontra à Lyon et dont il fit l’exposé des travaux, en octobre 1906, devant les membres de la Société impériale Russe de technologie. Mais il considérait que le procédé trichrome tel qu’il l’avait perfectionné était le seul permettant de restituer les couleurs avec une parfaite précision. Bien qu’elle n’en soit que le reflet indirect, la centaine d’images montrée dans cette exposition, en constitue l’éclatante démonstration.
Seuls les négatifs des vues réalisées par Procoudine-Gorsky, étant conservés, les images qu’il fixa de sa terre natale doivent, pour être montrées aujourd’hui, être nécessairement recomposées. Les positifs sur verre qui permettaient de les faire exister sous forme de projections ne sont pas conservés, pas davantage que l’appareil que Procoudine-Gorsky utilisait pour les montrer. Sans la décision de la Bibliothèque du Congrès en 2000, de scanner les négatifs de ces vues en couleurs devenues fantômes et de traiter les fichiers de leur conversion numérique par digichromatographie, celles-ci auraient continuer de rester images mortes.
Restituer un peu de la magie qui s’attacha autrefois à leur apparition, l’émotion de ceux qui les découvrirent à Saint-Pétersbourg, à Moscou et ailleurs, il y a un siècle, telle est l’ambition de cette exposition évoquant les missions et voyages dans les différentes régions de l’Empire au cours desquelles Procoudine-Gorsky effectua leur collecte.
Réaliser des tirages papier de ces images éminemment contemporaines, serties dans leurs aplats warholiens de couleurs pures, aurait été contresens. Elles n’existèrent jamais sous cette forme. Un autre parti devait être pris. Dans le cadre de cette exposition commémorant le cent cinquantième anniversaire de la naissance de Procoudine-Gorsky, celui de les présenter sur caissons lumineux pour restituer leur splendeur conservée à l’état virtuel, en dire l’irréalité, – en les faisant comme flotter dans l’espace – s’imposait le plus juste. C’est celui qui a été adopté.


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« Voyage dans l’ancienne Russie » Editions Albin Michel Photographies : Procoudine-Gorsky Auteur : Véronique Koehler
22 x 24 cm, reliure à la Bodoni 176 pages, 29 €

Extrait:

« Constellation de points sur une carte, résumé d’une trajectoire, celle d’une vie menée au rythme des inventions et des voyages, avec pour seuls horizons l’inconnu et l’ailleurs, les photographies de Procoudine-Gorsky sont à l’image de ce que fut sa vie : une splendide fiction, ce mélange si particulier de réel et de rêve. Et « la fiction » comme l’écrit Bergson, « quand elle a de l’efficace est comme une hallucination naissante ». L’efficacité des images de Procoudine-Gorsky est redoutable qui repose sur le paradoxal - comme on le dit du sommeil durant cette phase où se produisent les rêves –, celui de feindre l’imaginé, de fonctionner dans le registre de l’irréel, loin, très loin par-delà leur intérêt documentaire, historique, ethnographique, rapportant les réalités d’une Russie d’avant la Révolution, d’un monde en bascule. La virtualité leur va bien. Que seraient ces images converties en tirages qu’emprisonnerait soudain un cadre, privées de ce pouvoir qu’elles ont d’être, pour qui les découvre, apparition. Entre intangible et visible, leur surgissement est prodige et l’appareil qu’utilisait Procoudine-Gorsky pour les projeter est de ces lanternes qu’on disait autrefois magiques. Leur conversion digichromatographique n’y a rien changé. Elles restent ces vues optiques en couleurs dont Procoudine-Gorsky avait lui-même choisi le nom, qui dit la part d’illusion qu’elles recèlent. Une image projetée est de l’impensable qui se vérifie. »