Il y a, dans les quadriptyques photographiques de Karine Degiorgis quelque chose qui tient en même temps du cinéma et de la peinture. Ces photos-là sont des photographies pures, au sens ontologique du terme. Des photos où l'essentiel et l'irrémédiable se jouent au moment de la prise d'image. S'il y a du cinéma et de la peinture, dans cette œuvre, c'est sous une forme neuve, singulière, j'ai envie de dire « mentale », mais qui n'atténue ni n'oblitère jamais un acte photographique plénier, vécu au premier degré, dont la pointe acérée n'est jamais émoussée par une quelconque fuite en avant (ou en arrière) devant l'urgence et la mise en risque que cet acte vibrant exige. (…)
De la peinture comme horizon de toute représentation en image, Karine Degiorgis a choisi de ne garder que la mémoire et l'exigence, et se tient farouchement éloignée, avec la plus extrême vigilance, de toute tentation maniériste. S'il est clair, dans ces photographies, que celle qui les a prises est habitée par un imaginaire impressionné par les grandes matrices figuratives par lesquelles la peinture a précédé la photo de plusieurs siècles - de la Crucifixion à Ophélie emportée par les eaux - c'est à la pointe la plus vive du présent de l'acte photographique que cet imaginaire vient à se réincarner fugitivement, sans la moindre arrière-pensée d'intimidation ni de légitimation culturelle. Juste comme un instant présent que vient hanter, d'un vif coup d'aile, la mémoire de ce qui nous permet de voir.