Eileen Quinlan

Eileen Quinlan

#Photographe #Incontournable
ileen Quinlan s’intéresse à la reproduction photographique dans sa double condition de miroir et d’illusion. L’exposition de ses derniers travaux à la Galerie Sutton Lane de Paris annonce un cheminement nouveau, vers une photographie très spontanée, en prise directe avec le réel, qui se révèle hors de la chambre noire. Inscrivant un geste expressif personnel au milieu du processus de développement photographique, elle compose des univers se fondant entre eux, et dégage des paysages oniriques en prenant pour point de départ les motifs d’une étoffe écossaise. L’ensemble, intitulé Highlands, marie avec poésie le fond et la forme.


L’ensemble de votre travail porte sur la Nature Morte, est-ce le cas de cette exposition ?
Oui, mais mais peut-être moins que d’habitude. Le travail présenté aujourd’hui se base sur des photos de papier aux motifs écossais, collé sur un mur. C’est encore un autre paradigme, impliquant une seule image directement photographiée, non reflétée dans des miroirs, comme auparavant. Je voulais représenter l’objet en lui-même. Mais ensuite, je manipule la surface du négatif.

Pourquoi avoir choisi d’intituler l’exposition Highlands ?

Je l’ai appelée ainsi en raison des motifs du plaid écossais. L’idée est aussi venue du fait que j’étais très attristée par le suicide d’Alexander McQueen. Je pensais à son premier défilé d’envergure, qui s’appelait Highland Rape. Un défilé très controversé, dans lequel les mannequins portaient des vêtements de tartan déchirés, comme s’ils étaient attaqués. Ce faisant, McQueen proposait une réflexion sur son héritage écossais, mais il parlait aussi d’histoire et de guerre. J’ai voulu montrer comment le plaid pouvait être assimilé à un héritage, plus encore aux Etats-Unis. Nous sommes un pays plus jeune, dans lequel les gens n’ont pas autant ce rapport à la terre natale, aux origine maternelles ou paternelles. Je me suis attaché à l’idée du clan, à un artisanat qui représenterait l’histoire, la famille, la tradition. Il y a quelque temps, j’ai travaillé pour le créateur Miguel Adrover, devenu célèbre pour avoir retourné un trench Burberry, en le transformant en robe. Il y avait là l’idée d’un certain luxe, d’une certaine classe liée à ce procédé.

Vous travaillez directement sur le négatif. Les petits accidents sont-ils importants dans vos images ?

Lorsque j’ai commencé mes recherches artistiques, je photographiais des objets comme les aurait photographiés un photographe de mode, comme des produits. Toutefois, mes images ne présentaient pas de produits. Dans cette exposition, j’essaie d’agir sur la surface, en introduisant une expressivité dans mon travail : la main de l’artiste. J’utilise un film instantané polaroid, appelé « négatif-positif ». On décolle une des deux parties de l’instantané, et l’on a le négatif de la photo, qui n’est pas encore totalement développé, sa surface est encore humide, instable pendant un certain temps. J’ai décidé de créer moi-même les erreurs, les accidents, en collant ensemble différents négatifs les uns contre les autres pendant qu’ils étaient encore humides, avant de les séparer. Il y a une autre pièce à l’aspect assez dégradé. Elle a été plongée dans un bain d’eau. J’ai laissé le négatif immergé, jusqu’à ce qu’une grande partie de l’émotion soit effacée. Ce qui reste peut être comparé au sédiment de l’image.

Quelle est la place du hasard dans ce processus ?

Il s’agit d’un travail physique et expressif, mais je ne sais jamais d’avance quelle partie de la photo va rester, quelle partie va s’estomper ou disparaître. C’est une attitude à la fois expressive et expérimentale. Le fait que tout se passe sur le négatif lui-même confère une aura différente à l’image.

Quelle est votre réaction, lorsque l’on qualifie votre œuvre d’abstraite ?

En photographie, il y a toujours un aspect de direction, de mise en scène, et d’abstraction, puisque la photo n’est qu’un fragment sélectionné par l’artiste. Je comprends que l’on puisse appréhender mon travail au sein d’une tradition abstraite. Cependant, il y a toujours quelque chose de tangible devant mon objectif, quelque chose de vrai.

Aimeriez-vous travailler l’expérimentation cinématographique ?

J’ai fait des films, avec beaucoup de plaisir, lorsque j’étais étudiante en Art. Mais à présent, travailler ce média reviendrait à pénétrer dans une arène bien différente. Le cinéma introduit l’idée du temps. J’y ai pensé. Mais, si l’on se penche sur l’expérimentation cinématographique, le films manipulés, on pense immédiatement à Brackhage, aux scratched films, à toute une histoire du cinéma déjà très développée, à laquelle il me paraît difficile de contribuer. C’est un challenge, mais un beau challenge. Cela pourrait arriver !



Eileen Quinlan, Highlands