Au total, 12 expositions et 260 images s’affichent dans différents lieux de la ville. Des natures mortes que l’on découvre au fil d’une déambulation entre identités et réalité au cœur du centre historique et de quelques détours proches. Photographes reconnus au niveau international et jeune garde photographique se côtoient sur les cimaises de ce festival qui promet de belles rencontres.
La première étape, l’Hôtel Fontfreyde, Centre photographique, présente 5 expos de 5 artistes. Toni Catany, William Ropp, Lu Guang, Michel Medinger et Ingar Krauss sont les hôtes de ce lieu emblématique de la photographie au pied de la cathédrale. L’expo de Toni Catany est un bel hommage à ce photographe internationalement reconnu dont le travail est une référence dans le monde de la photographie contemporaine. Les ossements et carcasses d’oiseaux de William Ropp font écho aux images de Lu Guang qui nous plonge dans une nature morte qui ne doit rien à la science fiction. Enfin, les “ex-votographies”, compositions baroques de Michel Medinger répondent aux natures mortes d’Ingar Krauss, témoignage poétique de la campagne allemande.
Quelques pas plus loin, la salle Gaillard, entièrement rénovée récemment, affiche les ruines de Détroit, photographiées par les jeunes photographes Yves Marchand et Romain Meffre qui ont connu un succès mondial avec ce travail.
Claire Martin conclut le propos avec ces images de territoires morts qui se conjuguent avec la mort sociale de populations oubliées de l’humanité.
A quelques rues de là, pénétrez dans la Chapelle de l’Hôpital général, un lieu hors du temps parfaitement adapté aux “Levées de corps” de Steeve luncker, concentré de notre humaine condition de mortels.
Franchissez le plateau central et descendez légèrement jusqu’au Centre Camille Claudel où sont exposées les “Lignes de failles” de George Georgiou qui a parcouru la Turquie d’est en ouest et montre territoires abandonnés et nature remodelée sans âme.
La jeune garde photographique est également de la partie et s’expose dans trois autres lieux. Les Natures mortes de Rémi Noël sont insolites ou burlesques, les paysages d’Olivier Crusells sont tourmentés et incertains, les “contes et autres instants” de Camille Mazoyer respirent la vie. Une belle façon de conclure ce thème de “Natures Mortes” et cette balade photographique emplie de belles rencontres.
Reste une rétrospective des 12 dernières années à découvrir au showroom Les Dilettantes, bureau du Festival et Galerie éphémère. On y croise des signatures contemporaines qui sont passées par Nicephore + au cours des 12 dernières éditions.
Étrange paradoxe que celui qui régit notre nature humaine. Attachée, d’une part, à recomposer avec un soin méticuleux les choses de la vie pour leur insuffler une nouvelle raison d’exister. Et qui, dans le même temps, s’ingénie à détruire avec une constance zélée ce qui est le berceau de son existence ou de
ses multiples identités, de sa réalité.
Coupable ambiguïté qui veut que l’homme puisse ainsi jouer aux apprentis sorciers et user d’un droit illégitime de donner la mort ou recréer la vie.
“Insoutenable légèreté d’un être” présupposé suprême, capable d’user à sa guise des choses comme des gens. Alors, syndrome de toute puissance qui, à l’égal d’un dieu, lui conférerait le pouvoir de façonner le monde à son image ?
Ou exorcisme de la peur viscérale qui le hante face à la finitude ? Illusoire jeu de dupe auquel, cependant, il s’abandonne volontiers. Parant l’image de la mort “objective” de multiples artifices pour lui donner les signes d’une extérieure beauté seuls capables de la rendre acceptable; et supprimant, par ailleurs, tant de vies “subjectives” dans une quête effrénée de puissance, dont il veut croire qu’elle soit garante de l’immortalité.
Qu’en est il alors de la nature humaine, lorsqu’elle exclut du royaume des vivants ceux devenus soudainement indignes de la représenter ? Tout juste leur offrant le droit d’aller survivre sur des friches hostiles, des territoires par elle-même désaffectés.
Qu’en est-il, enfin, du regard qu’elle porte sur elle même lorsqu’elle est confrontée à l’idée irrévocable de sa précarité. À l’image sans fard de sa mort, qu’elle soit naturelle, accidentelle ou provoquée. Il n’y a peut-être finalement que l’artiste, le photographe en l’occurrence, qui soit à même de mettre à la lumière cette dualité. Soit qu’il en use, soit qu’il en témoigne, avec la distance nécessaire ou l’immédiate proximité. La nature humaine est elle réellement à l’aise avec l’idée de nature morte ?
Un questionnement auquel cette biennale n’a nullement la prétention de répondre. Seulement de l’éclairer, laissant aux images le soin d’en rendre compte et au public de se faire une idée.
Patrick Ehme, directeur artistique du festival
Toni Catany
Natures Mortes
Les œuvres de Toni Catany réunissent de sa- vantes dispositions d’objets simples, révélant un goût très sûr de la couleur et de la forme et photographiés avec une technique époustou- flante. S’y ajoute un regard discret et quelque peu nostalgique sur les hommes et les choses, comme si le désir était mis en suspens pour ne laisser que des corps dans leur évanescente liberté.
Il déclarait lui même : “La présence de ces objets dans mes photos n’a d’autres valeurs que sentimentale. Souvent, je les achète aux puces parce que, si je ne les achète pas, ils seront définitivement oubliés”.
Les natures mortes en couleurs (fleurs séchées, objets précieux, fruits pourris...) exhalent l’amour de la lumière et le passage du temps (...).
Elles affirment la maîtrise et la chatoyante sensibilité d’un monde baroque, issu de Sudek et Visconti, qui hisse la nature morte au niveau de l’Opéra.
P. Roegiers (in Art Press et L’Oeil multiple)
Exposition présentée à l’Hôtel Fontfreyde, centre photographique
rue des Gras à Clermont-Ferrand du mardi au samedi de 14h à 19h.
William Ropp
The Shadow Sculptor
Bien sûr il est question de mort dans les images de William Ropp.
Mort objective dans ces ossements ou ces carcasses d’oiseaux ou un masque funéraire aux traits définitivement figés.
Mort symbolique ou métaphore dans ces portraits d’une jeunesse envolée tenus par des mains, elles même fanées, ou un costume vide du corps qui, un jour, a du l’habiter.
Mort innocente d’un merle ou d’un corbeau étouffé par une main d’enfant, tendu vers le regard comme on tend un trophée.
Mort sublimée comme ces poissons échoués auprès d’un corps nu, apaisé ou inquiet ; échange de regards, passage de témoin ou passation de pouvoirs.
Mort allégorique à travers un visage inquié- tant fuyant sous le couvert d’une capuche de moine ou de « faucheuse »...
Mais au delà de ça, n’est ce point de la vie dont il est fondamentalement question, dans ce qu’elle a de mystères insondables, de dimensions profondes. De la vie dont la mort est partie intégrante. Comme un éclat sublime, un éclair de génie entre néant et néant dont William Ropp serait capable de percer l’au-delà.
Exposition présentée à l’Hôtel Fontfreyde, centre photographique
rue des Gras à Clermont-Ferrand du mardi au samedi de 14h à 19h.
Lu Guang
Requiem for mountains & waters
La Chine s’est “éveillée”. Pour la Chine et les Chinois eux-mêmes, cet “éveil” ne se fait pas sans dégâts. Et Lu Guang, précisément, nous emmène voir le côté sombre de cette marche en avant. Dévoile l’ampleur de la catastrophe sur l’environnement et, par delà, sur les populations. Un authentique crime contre l’humanité dont trop peu, si ce n’est lui, ne mesurent la véritable menace, l’inquiétante portée. Pour le futur, bien sûr, mais dont l’avenir semble irrémédiablement scellé dès à présent.
Hallucinant voyage en terres de “natures mortes” qui ne doit rien à la science ou à la politique fiction et ne témoigne de rien d’autre que d’une sinistre et vertigineuse réalité.
Exposition présentée à l’Hôtel Fontfreyde, centre photographique
rue des Gras à Clermont-Ferrand du mardi au samedi de 14h à 19h.
Ingar Krauss
Natures mortes
L’exposition montre une série d’oeuvres réalisées depuis l’automne 2009 dans le village de Zechin, proche de la frontière polonaise, où il vit.
Ingar Krauss habite une ancienne ferme, il cultive un potager, élève des animaux : cette relation quotidienne à la terre est naturellement devenue un sujet privilégié de sa photographie.
La chasse est aussi une relation ancestrale, prédatrice, qui lie l’homme à la nature. Ingar Krauss a suivi une équipe de villageois et photographié tableaux de chasse, cabanes de guet, chiens...
La nature est aujourd’hui une valeur hautement reconnue, mais souvent vue de manière idéalisée. Le monde rural est encore dépositaire d’une relation plus terre à terre, utilitaire et parfois brutale entre le cultivateur, le chasseur et la nature.
Ingar Krauss témoigne de cette réalité à travers ses images, qui sont avant tout une reconstitution poétique, personnelle, et ainsi touchent un sentiment universel, comme un témoignage sur un monde qui s’éteint.
Dans cette exposition, Ingar Krauss a aussi tenu à faire figurer quelques portraits d’une petite fille du village, Hannah, qu’il photographie depuis des années. Au milieu des “natures mortes”, elle est l’observatrice énigmatique du cycle de la vie.
Exposition présentée à l’Hôtel Fontfreyde, centre photographique
rue des Gras à Clermont-Ferrand du mardi au samedi de 14h à 19h.
Michel Medinger
Ex-Votographies
Les natures mortes de Michel Medinger sont au premier regard déconcertantes : vieux outils, fleurs fanées clouées sur un bois vieilli, oiseaux morts étroitement ficelés entre deux parois, restes en putréfaction de petits animaux, le tout exposé à l’intérieur de boîtes en bois ou bien au dos de cadres anciens.... L’existence est fragile, brève et dérisoire : c’est ce que disent ces images, s’inscrivant par là dans là même tradition picturale que les “Vanités” du XVIIe siècle. Mais la continuité n’est pas que thématique.... Chaque image est une mise en scène, dans laquelle l’élément vaut à la fois comme symbole autonome, et par sa relation à l’ensemble qu’opère sa mise en espace... Ses images témoignent pour la vie disparue, sortes d’ex-voto reconnaissant ce qui fut. Nathalie Maurice
Exposition présentée à l’Hôtel Fontfreyde, centre photographique
rue des Gras à Clermont-Ferrand du mardi au samedi de 14h à 19h.
Claire Martin
Slab City
Quoi de plus significatif de ces “Natures mortes” que lorsque celles ci, désaffectées, abandonnées, désertées après des années de bons et loyaux services (militaires en l’occur- rence), deviennent le refuge de populations, elles mêmes déclassées, rejetées, devenues résidus d’une société qui ne les admets plus comme siennes et préfère leur laisser la liberté d’aller se faire oublier plus loin.
Loin, très loin d’elle. A l’abri des regards, de la bonne conscience morale des “bonnes gens” pour n’avoir pas à justifier que c’est elle, pourtant, qui les a engendrées et finalement réduites à l’état de “moribonds”.
C’est alors la mort de territoires qui se conjugue avec la mort sociale. La nature sacrifiée deve- nue seul refuge et ultime horizon de gens exi- lés, contraints ou consentants, parce que jugés “infréquentables” et dérangeants.
Des rebuts rendus à un état “sauvage” en des paysages hostiles et arides qui le sont tout au- tant.
C’est pourtant là, dans ces zones de “non vie” que des hommes et des femmes tentent d’en trouver une nouvelle, réduite souvent à sa plus simple expression, mais une vie tout de même. Et les éclats, flagrants ou dérisoires, que Claire Martin a su saisir sur les lieux comme dans les regards.
Exposition présentée Salle Gaillard
place Gaillard à Clermont-Ferrand du mardi au samedi de 14h à 19h.
Yves Marchand et Romain Meffre
Ruins of Detroit
“En visitant des ruines, nous avons toujours essayé de nous focaliser sur des édifices remarquables dont l’architecture incarne la psychologie d’une époque, d’un système, et permet d’en observer les métamorphoses.”
Entre 2005 et 2009, le duo part à l’assaut des vestiges de Détroit, l’ex-capitale de l’automobile, leur premier grand projet. Ruins of Detroit est publié aux éditions Steidl en 2010 et connaît un succès mondial.
La ville de Détroit, révèle la ruine autrement : ici elle n’est plus anecdotique mais logique. Elle devient presque naturelle, élément fondamental du paysage.
Leur séjour fait l’objet d’une toute première exposition dans laquelle ils développent une vision commune, systématisant l’utilisation d’un seul appareil pour deux.
Exposition présentée Salle Gaillard
place Gaillard à Clermont-Ferrand du mardi au samedi de 14h à 19h.
Steeve luncker
Levées de corps
Le travail de la mort précède celui du deuil et donne en retour du boulot aux vivants. C’est précisément cela qui se dévoile, en textes et en images (...).
Nulle intention surplombante ou morbide dans ces « levées de corps »
Le regard est frontal et obstiné : il montre la mort avec les couleurs de la mort, il la res- pecte dans sa façon d’occuper l’espace, sans rien toucher à sa mise en scène, sans modifier la lumière qu’elle s’est choisie (...)
Chaque levée de corps est un concentré de notre humaine condition de mortels.
Elle chahute nos certitudes et nous renvoie, violemment, vivre avec les vivants. Thierry Mertenat
Exposition présentée à la Chapelle de l’Hôpital général rue Sainte-Rose à Clermont-Ferrand du mardi au samedi de 14h à 18h.
Présence de l’artiste le samedi 4 octobre
George Georgiou
Lignes de failles. La Turquie d’est en ouest
Condamnée par la géographie à occuper une position intermédiaire entre l’Asie et l’Europe, la Turquie est depuis plus d’un siècle un lieu de tensions permanentes entre modernité et tradition, État laïc et forces islamiques, centralisme étatique et revendications autonomistes, libertés démocratiques et ordre répressif. Des tendances contradictoires qui nourrissent des affrontements souvent violents, mais qui n’empêchent pas le pays de poursuivre son processus de transformation.
Le photographe britannique George Georgiou a passé cinq ans de sa vie en Turquie. Il a voyagé à travers le pays. “On est frappé, au fil des mois et des années, par l’évolution extrêmement rapide des paysages” dit-il, car on construit partout à un rythme phénoménal : des infrastructures routières qui bouleversent l’apparence des campagnes, mais surtout d’énormes quantités de blocs de logements pour permettre aux villes d’absorber l’exode rural, ainsi que l’accroissement rapide de la population.
Exposition présentée au Centre Camille-Claudel
rue Marécha-Joffre à Clermont-Ferrand du mardi au samedi de 14h à 19h.
Vernissage le samedi 4 octobre à 12h en présence de l’artiste
Rémi Noël
Natures mortes mais pas trop
Rémi Noël construit ses images avec trois fois rien : une fleur, un journal, une voiture miniature, un puzzle.... Armé de son précieux bric-à-brac, le photographe s’ingénie à orchestrer des rencontres fortuites et impertinentes.
Préparées avec le soin de l’entomologiste épinglant une espèce ignorée, ces confrontations impro- bables confèrent au réel une tournure inattendue.
Pour mener à bien son entreprise, Rémi Noël visite des lieux ordinaires à la recherche obstinée du déjà vue : une chambre de motel, une bibliothèque ou une salle de bain... leur banalité familière est garante de la scène surnaturelle qu’il entend organiser.
Et voici un robinet à ours en peluche !
Un Lucane cerf-volant s’apprêtant à envahir l’Amérique !
Insolites ou burlesques, ces visions composent un univers troublant et énigmatique.
Un monde se dessine, en équilibre instable sur le fil de l’absurde. Le quotidien le plus morne s’y trouve transfiguré, habilement chahuté.
Exposition présentée au Centre Georges-Brassens
rue Sévigné à Clermont-Ferrand du lundi au vendredi de 14h à 19h
Camille Mazoyer
Contes... et autres instants
“J’ai 22 ans. De ma génération, j’ai découvert les contes en VHS sur le petit écran, avec des images imposées. Certes le miroir de Blanche Neige, les souliers de verre de Cendrillon ou la montre du lapin d’Alice au pays des merveilles étaient bien présents, mais les lignes des histoires originales laissaient bien plus de place à l’imagination, surtout lorsque l’on a seulement 6 ans.
Partant d’une lumière, d’un modèle, d’un objet, ou tout simplement d’une idée, j’ai poussé jusqu’au bout ce qui a traversé mon esprit en une fraction de seconde. Et en une nouvelle fraction de seconde, j’ai pressé le déclencheur. Le baroque d’un miroir, le corps sans vie d’un lapin, l’ambiance d’une chambre ou l’air pensif d’une enfant, je me suis occupée du reste pour combler les manques. Le miroir a dévoilé sa magie, la fiole son poison, la princesse a trouvé sa place dans la chambre et le chevreuil sur le mur. Chaque scène a doucement pris forme, comme une performance éphémère, immortalisée par le capteur, magnifiée par l’ordinateur.
L’histoire se conte ainsi, comme je la perçois, en une suite d’images. Le récit de chacune, je vous laisse le soin de l’écrire”.
Exposition présentée à Logidôme
14 rue Buffon à Clermont-Ferrand du lundi au samedi de 8h15 à 12h15 et de 13h à 17h.
Olivier Crusells
Entre Parenthèses
“Cet endroit, cette zone est peut-être un système très complexe de pièges...on ne sait pas ce qu’il se passe en l’absence de l’homme.
Le temps y est suspendu, en apnée.
Les cabanes, sur les rives du canal, au milieu des marrais, sont organisées de manière anarchiques et décousus.
Tout compose un ensemble aux contours tourmentés et incertains.
Le collodion humide confère à cet ailleurs une intemporalité où règne la solitude et l’isolement.
Tout est inquiétant et silencieux.
L’homme a déconstruit le paysage, mais la nature reprendra inéluctablement les espaces qui lui ont été ravis.
Ces paysages appartiennent à notre Histoire”.
Exposition présentée à la Maison des Beaumontois
21 rue René Brut à Beaumont du lundi au vendredi de 9h à 19h, le samedi de 10h à 12h.