© Annette MERKENTHALER
L'Eté photographique de Lectoure 8 cours Gambetta 32700 Lectoure France
Que ce soit un paradoxe ou une dialectique, l’étendue de l’amnésie dans notre culture n’est égalée que par une fascination toujours plus prégnante pour la mémoire et le passé. Andreas Huyssens
Sous le titre Deux générations d’avant-garde de la photographie polonaise, l’Eté photographique réunit cinq expositions qui donnent le ton de cette édition : celui de l’expérimentation. En effet, la plupart des œuvres exposées cette année explorent la singularité de la photographie et ses potentialités artistiques. La démarche consistant à pousser cette dernière à ses limites est revendiquée par Nicolas Grospierre, né en 1975, comme elle l’avait été par Jerzy Lewczynski et les représentants de l’avant-garde polonaise des années 50. L’expérimentation est également au cœur des projets artistiques d’Agnieszka Polska, Renaud Auguste- Dormeuil, Annette Merkenthaler, Pierre-Lin Renié, mais aussi de Josef Robakowski, dont les films (vidéo et cinéma) seront projetés le 20 juillet au cinéma de Lectoure. Si tous ces artistes ont en commun une volonté d’exploration, leurs préoccupations sont aussi différentes d’une génération à l’autre que les contextes historiques. Ainsi, en Pologne dans les années 50, le bouillonnement artistique né du dégel idéologique qui suit la mort de Staline remet d’actualité la question du statut artistique de la photographie. Lewczynski et d’autres photographes ont alors cherché des formes nouvelles d’écriture photographique –telles que le montage, la photographie trouvée, l’image négative, etc. - pour sortir de l’impasse de l’académisme et se libérer du modèle obligé du reportage. Lewczynski a nommé ses recherches « anti-photographie » en référence au Nouveau roman français.
© Jerzy LEWCZYNSKI
La question de la légitimité artistique de la photographie n’est plus la préoccupation des artistes actuels, qui produisent leurs œuvres dans le contexte de la toute-puissance des médias et des flux continus d’informations, de la prolifération d’images dématérialisées sur la toile et les réseaux sociaux. Dès que je me suis aperçu que tout allait se ramener à l'écran, je n'ai eu de cesse de penser aux moyens de l'éviter, et ce sans pour autant me réfugier dans la forêt. Il s'agit de préserver des moyens d'action participante, en inventant une nouvelle situation écologique. (Josef Robakowski, dans un entretien en 1995) Un autre aspect de cette programmation est la dimension humaniste portée par des photographes de quatre générations - Tadeusz Rolke (1929), Bruce Wrighton (1950-1988), Guillaume Herbaut (1970), Emanuela Meloni (1987). Leur approche empathique, lucide et sans complaisance, en s’abstenant d’esthétiser ou d’idéaliser les personnes photographiées, s’approche au plus près de la réalité de leur condition, sans craindre de déranger le spectateur. Le face à face ne laisse pas d’échappatoire à qui regarde les portraits de Bruce Wrighton ou ceux d’Emanuela Meloni. Les photographies de Tadeusz Rolke et de Guillaume Herbaut, les œuvres de Renaud Auguste-Dormeuil, dérangent parce qu’elles dévoilent des réalités occultées, dont la prise en compte oblige à revoir les dogmes, les idées simples et autres certitudes manichéennes.
© Bruce WRIGHTON
Renaud Auguste-Dormeuil et Guillaume Herbaut se sont rencontrés en 2004 à Lectoure, où ils exposaient l’un et l’autre. Suite aux échanges nés de cette rencontre, ils ont conçu pour l’Eté photographique leur première exposition commune, L'un photographie l'autre pas, dont Anne Stenne assure le commissariat. Par des voies différentes, tous deux s’attachent à révéler les images oubliées dans le point aveugle des médias. L’artiste allemande Annette Merkenthaler, pour qui l’espace public est depuis longtemps son terrain d’expérimentation, installera en plusieurs points de Lectoure des œuvres qu’elle a spécialement conçues pour ces lieux (commissariat de Michel Métayer). Quant à Pierre-Lin Renié, il prolongera dans les vitrines de la rue Nationale l’exposition Ciel-sol qu’il présente au Centre d’art et de photographie. Comme à chaque édition, l’Eté photographique privilégie les découvertes : les expositions de Guillaume Herbaut & Renaud-Auguste Dormeuil, Pierre-Lin Renié, Annette Merkenthaler ont été créées pour l’Eté photographique ; celles des artistes polonais, dont le commissariat est assuré par Patrick Komorowski et Gunia Nowik, n’avaient jamais été montrées en France.
François Saint Pierre