©Denis Rouvre
Pinacothèque de Paris 28, Place de la Madeleine 75008 Paris
Mois de la photo 2012 Maison européenne de la Photographie 5/7 rue de Fourcy 75004 Paris France
MOIS DE LA PHOTO 2012
Denis Rouvre, Low Tide, Le Japon du chaos
Le 11 mars 2011, un tremblement de terre de magnitude 9 survenait au large des côtes de l’île de Honshu au Japon. Le tsunami qui s’ensuivit dévasta près de 600 kilomètres de côtes de la région de Tohoku, faisant 21 000 victimes et disparus et détruisant totalement ou partiellement de nombreuses villes et zones portuaires. La catastrophe naturelle enclencha également une série d’accidents majeurs dans les centrales nucléaires de Fukushima. Près de 215 000 personnes furent évacuées le jour même. Puis plusieurs centaines de milliers d’habitants vivant dans un rayon de 30 kilomètres autour de ces installations.
En novembre 2011, puis en février 2012, j’ai décidé de me rendre sur place. Je n’avais aucune idée de ce que j’y ferais. Mon voyage était mu par la nécessité de me confronter à une réalité qui m’échappait en tous points et que mon imagination rejetait. J’ai parcouru 300 kilomètres de côtes, les plus touchées par le tsunami. Une désolation extrême y régnait. La vague n’y avait rien épargné. J’ai photographié ces paysages sans réfléchir, persuadé qu’il me fallait du temps pour appréhender le cataclysme. Sur ces lieux ravagés, aucun habitant pour témoigner. Dans ce désert, les sons humains s’étaient tus.
© DENIS ROUVRE
J’ai alors cherché à rencontrer les gens qui habitaient ces lieux avant l’événement. Je les ai trouvés dans des quartiers de logements temporaires construits après la catastrophe. Les « kasetsu jutaku » sont des maisons préfabriquées, organisées en petits villages et posés sur des terrains vagues. Tous les gens qui y vivent, principalement des personnes âgées, sont des naufragés. Ceux-là ont tout perdu. Familles, proches, maisons, biens, jusqu’au moindre souvenir qui forge une histoire personnelle. Les traces de leur vie passée ont été balayées en quelques secondes. Dans leurs visages était écrite cette implacable réalité, traversée d’autant de nuances qu’il y a de vies. Leurs visages répondaient aux lieux dévastés. Comme un puzzle a deux pièces dont chaque élément n’a d’autre choix que de correspondre à l’autre.
©Denis Rouvre, Toku Konno
Les catastrophes naturelles ont fini par sembler le lot commun du sous- développement. La perte, le tout-venant des pauvres. Une banalité lentement rangée, puisque cela ménage notre culpabilité, dans la catégorie des fatalités. Nos regards d’occidentaux ont fini par s’émousser, insensibilisés à force d’images quasi semblables les unes aux autres. Détresse et dévastation ne les tourmentent plus que fugacement. Le tsunami japonais a secoué ce confortable assoupissement. Dans un pays industrialisé, bénéficiant du même niveau de développement que le nôtre, la catastrophe redevient saisissante. Dans cet opposé géographique de la planète, la proximité est paradoxale mais possible. L’empathie redevient aiguë.
©Denis Rouvre, Takashi Momose
J’ai utilisé ces sentiments qui nous rapprochaient accidentellement des survivants pour regarder la condition humaine. J’ai enregistré ces visages pour m’interroger sur la place de l’homme dans le chaos. S’y côtoient la détresse et la résignation, la douleur, mais aussi une demande à vivre. Dans ce subtil et poignant mélange de faiblesse et de force, j’ai voulu lire la place de l’homme et ses ressorts face à l’adversité.
Denis Rouvre